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Seigneur, j'ai rétréci les Vikings. Chapitre 3

Tegenaria Duellica


Alors que Gersimi et Tuatha s’étaient mises à courir dans la direction supposée de Klotilde, des cris de plusieurs personnes, perçants à travers les herbes, semblaient leur indiquer que quelque chose de terrible était en train d’arriver.

-Dépêchons nous, dit Gersimi, si les hommes de Séraphin ont été réduits comme nous, j’ai peur que Klotilde se retrouve seule contre eux. -Réduite à notre taille, ce ne sont pas les hommes d’armes sans armes qui m’inquiètent le plus, répondit Tuatha. Plus elles avançaient, plus les cris se faisaient forts, mais aussi de sources moins nombreuses, comme si les hommes de Séraphin se faisaient éliminer un par un. -Tu as raison, dit Gersimi. Klotilde est une fière combattante, mais je doute qu’elle se débarrasse d’autant de combattants aussi rapidement avec son mal de terre. Elles ralentirent alors leur cadence un instant pour rechercher des brindilles pouvant leur servir d’armes quand Klotilde surgit d’entre deux champignons. En pleine course vers la direction opposée des hurlements, elle n’eut pas le temps de ralentir et se cogna contre Gersimi, l’emportant dans une chute spectaculaire mais inoffensive.


-Klotilde ! s'exclama Gersimi. Quel bonheur de te voir en vie ! Klotilde ne prit pas le temps de saluer ses camarades et se releva aussitôt en hurlant de terreur. -Une araignée ! Une énorme araignée !! Fuyez !!! La Tegenaria duellica est une espèce d'arachnide très présente dans nos régions. Élisant domicile le plus souvent dans les coins humides, elle est fort appréciée des habitants des campagnes, débarrassant les habitations des moustiques et autres insectes nuisibles. Leur envergure, pouvant atteindre jusqu’à 10 cm, impressionne les âmes les plus sensibles, mais elle reste tout à fait inoffensive pour l’être humain. Sauf quand l’humain en question est réduit à la taille d’un ongle. La créature qui apparut à la suite de Klotilde semblait, en proportion, plus grande que le plus grand des ours, sans compter ses pattes à l’allonge phénoménale. Comme si ce spectacle n’était pas assez cauchemardesque, on pouvait discerner entre ses mandibules le pied d’un des hommes de Séraphin qu’elle avait arraché à son propriétaire quelques secondes auparavant.



Tegenaria Duellica, par Sophie Moutier

Ne perdant pas un instant, Gersimi et Tuatha emboîtèrent immédiatement le pas à Klotilde et prirent leurs jambes à leur cou dans l’autre sens. Mais l’araignée, bien plus rapide qu’elles, se mit à cracher sa toile dans leur direction, emprisonnant Klotilde et Gersimi dans la matière collante sans leur laisser le moindre espoir de fuite. N’écoutant que son courage, Tuatha brandit alors sa brindille pour faire face à l’impressionnante créature. L’agilité légendaire de la druidesse ne fut pourtant pas suffisante comparée à l'extrême rapidité de la Tegenaria qui l’envoya valser en l’air d’un seul coup de patte bien placé. Tuatha atterrit la tête la première sur un rocher qui l'assomma immédiatement. -Si tu as un sort pour nous tirer d'affaires, le moment serait le bienvenu, dit Klotilde à Gersimi. Malheureusement, les arts de la magie du Bifrost, tels que pratiqués par Gersimi, demandaient, pour la plupart, des gestes précis de ses mains, pour l’instant bloquées par la toile, ou bien l’utilisation de ses pierres magiques, elles-mêmes alors dans les mains de Séraphin, toujours en plein combat contre le pommier magique. Le chevalier avait réussi à se mettre hors de portée des branches avec lesquelles l’arbre tentait de l'assommer, et en tranchait une petite partie à chaque attaque, gagnant du terrain vers le tronc. Il avait remarqué qu’à chaque mètre gagné, les éclats de Bifrost scintillaient de plus en plus, et que la lumière qui semblait émaner du cœur de l’arbre se faisait de plus en plus forte. Loin de vouloir quitter cette bataille, Séraphin était bien décidé à détruire le pommier, même si cela devait lui prendre la nuit entière. Mais à y réfléchir, il n’était pas nécessaire de perdre autant de temps. Quelques années auparavant, Michel Séraphin s’était trouvé fort dépourvu après avoir capturé une sorcière dans les environs de Troarn. Il avait organisé ce jour-là une cérémonie à laquelle il avait invité tout le voisinage afin de bien leur montrer qu’on ne badinait pas avec la sorcellerie, et fait dresser un impressionnant bûcher sur la place du village. Mais une pluie torrentielle l’avait couvert de ridicule, incapable qu’il avait été d’allumer le feu purificateur pendant un après midi entier. A peine le temps qu’il fallut pour la famille de la jeune condamnée à prouver l’innocence de celle-ci. Séraphin s’en était retourné honteux, jurant qu’on ne l’y reprendrait plus. Il avait depuis fait sculpter un briquet à même la garde de son épée et transportait constamment une petite fiole d’huile extrêmement inflammable accrochée à sa ceinture, “au cas où”.


Exemples de briquets médiévaux

Avec la précision gestuelle d’un homme qui s’est entrainé des années pour cela, le chevalier enduisit d’huile la tranche de son épée, puis frappa le briquet de la garde contre son ceinturon, provoquant une gerbe d’étincelles qui mit feu à la lame comme à une torche.



D’une agile roulade, il évita une des dernières tentatives d’attaque du pommier mouvant, puis, rendu ainsi face à lui, il plongea son arme enflammée dans le tronc de l’arbre avec une telle force qu’elle s’enfonça d’un seul coup à travers le bois. Le pommier sembla se raidir violemment, dans un son de craquement terrible qui ressemblait à un cri de douleur. Abandonnant son arme plantée dans le tronc, Séraphin se poussa rapidement à bonne distance pour observer l’arbre s’enflammer. A sa grande surprise, l’effet de son attaque fut encore plus violent que prévu. La lumière qui émanait du tronc se mit à briller d’une force inédite, donnant l’impression pour un instant qu’il faisait plein jour avant d’exploser littéralement dans une déflagration digne d’un coup de tonnerre. En un instant, le pommier magique se désintégra dans un dernier flash de lumière bleutée, envoyant des fragments de branches, d'écorce et de pommes à des dizaines de mètres à la ronde. C’est d’ailleurs une de ces pommes qui sauva la vie de Klotilde, Gersimi et Tuatha en tombant, par chance, sur l’araignée vorace au moment où celle-ci s’apprêtait à croquer la tête de Klotilde.

Écrasé par le poids du fruit, le terrible prédateur agita deux de ses pattes un petit moment avant de cesser de bouger pour toujours.


A peine remise de sa chute, Tuatha tituba du mieux qu’elle put vers ses camarades pour les libérer des toiles dans lesquelles elles étaient toujours empêtrées. -Merci à toi, j’ai bien cru qu’en plus d’avoir la taille de mouches, nous allions connaître un destin de mouches, dit Gersimi dans un souffle de soulagement. Klotilde, quant à elle, encore tremblante de peur et couverte de toile, n’était pas disposée à autant de gratitude. -En ce qui me concerne, je pense que tout ce qui nous arrive est de ta faute, druidesse. Je déteste avoir raison mais j’avais dit depuis le début que te suivre dans cette histoire ne nous amènerait que des ennuis.

-De ce que j’ai pu remarquer, ce sont les agissements du chevalier qui nous ont mises dans cette situation, répondit sèchement Gersimi tandis que Tuatha s’éloignait de quelques pas tout en baissant la tête.


- Je ne reviens pas de la confiance que tu peux toujours accorder à cette … créature ! Regarde son masque qui semble faire partie de son visage, la couleur de ses membres. Rien ne nous dit qu’elle soit seulement humaine alors qu’elle nous cache tout de ce qu’elle est vraiment ! -Je ne savais pas qu’il fallait forcément être humain à tes yeux pour être digne de ta confiance. Ces derniers mots venaient d’une voix que Klotilde connaissait bien. Celle de son vieil ami Rolf. Tournant la tête, elle vit avec soulagement qu’il avait pu les rejoindre sain et sauf, accompagné du grand Alwin, de Gudrun et de leur nouveau camarade Svarold. -Les tensions ont l’air d’être fortes entre vous, remarqua ce dernier, mais je pense que nous avons plus urgent à résoudre. Il nous semble avoir observé que le chevalier Séraphin a réussi à détruire l’arbre magique. Et s’il est difficile de voir à travers les herbes ce qu’il bouine, ça ne m’a pas l’air très Catholique.

En entendant cela, Tuatha grimpa immédiatement à la plus haute brindille d’herbe qu’elle pouvait trouver pour pouvoir observer ce qu’il se passait et découvrit avec horreur que Svarold disait vrai. Suite à l’explosion, il ne restait plus du pommier qu’une souche aux bords éclatés, au centre duquel trônait une étrange orbe lumineuse, grosse comme le poing.




Séraphin se relevait à peine, en se tenant la jambe dans laquelle un éclat de bois s’était malencontreusement planté. Le chevalier s’avança en boitant vers l’orbe et l’observa, autant effrayé que fasciné. Prudent, il n’osait pas se saisir de l’objet et chercha du regard autour de lui. Il s’empara alors du gàkti de Gersimi qui trainait dans l’herbe et enroula l’orbe dedans sans la toucher directement.


-Le cœur de Coventina, frissonna Tuatha. Il s’est emparé du cœur de Coventina …

Affaires de familles


Sous la halle, on avait enfin réussi à organiser les temps de paroles des participants à la réunion pour entrer dans le vif du sujet : Qui allait pouvoir se prouver digne de devenir le premier bourgmestre du village des rives du Douet ?

-Je me permets de me présenter au nom de toutes les forges de Clermont pour prétendre à ce titre, déclara fièrement Hugo Clermont. Et croyez-moi que ce n’est ni par fierté mal placée, ni par désir de pouvoir. Mais ma famille et moi considérons que c’est bien autour de la réputation de nos forges que ce village se forme. La ferme des Couloux a beau prospérer depuis longtemps en nourrissant les habitants, c’est bien notre artisanat qui attire les étrangers et nous permet de faire tourner le commerce. Quant à l’auberge de la famille Goubert, elle n’existe purement et simplement que grâce à ces passages d’hôtes de marque. Afin de faire bonne figure auprès des trois Barons, Eudes Goubert et Childéric Couloux firent de gros efforts pour ne pas l’interrompre mais serraient les poings en attendant que vienne leur tour de parler.

Thorulf fut le premier des Barons à questionner Hugo.


-Le titre de Bourgmestre ne tient pas seulement à vos actes passés, ou à l’influence de votre commerce. C’est un rôle qui tient, bien au contraire, à votre faculté à vous projeter dans le futur, et à l’imaginer pour le bien être de la communauté entière. -Et c’est bien pour cela que je me présente en tant que bourgmestre, mon seigneur. Ma position de Bourgmestre me permettrait de mettre les impôts du village au service de mes forges, dont le succès apportera le bonheur à tous grâce à l’effet d’un ruissellement des richesses. -Je ne suis pas certain que cette histoire de ruissellement suffise à assurer le bien commun, répondit Thorulf. Je pense plutôt à des actions qui profiteraient directement à tout le monde. -N’allez pas parler de bien commun à Hugo Clermont, m’sieur l’Baron, s’exclama Childéric avec le ton de quelqu’un qui se retient de parler depuis trop longtemps. A huit ans déjà, il ne faisait que venir rôder autour de notre ferme pour y voler des œufs ! -Faut dire que ton père vendait les oeufs plus cher à ses voisins qu’aux étrangers rien que pour rester l’homme le plus riche du coin ! s'exclama Eudes Goubert. Childéric se tourna immédiatement vers Eudes, fou de rage. -Après tout ce que ta grand-mère avait fait subir à mon père quand il était jeune homme, à lui refuser l’entrée de l’auberge parce qu’il avait soi-disant les mains trop sales, c’est normal qu’il n’ait jamais eu envie de vous faire de cadeaux ! Les trois barons échangèrent des regards à la fois perdus et fascinés. Ils laissèrent la dispute continuer une petite minute, observant les prétendants en arriver à débattre d’une bisbille à propos d’un coin de pêche à l’anguille pour lequel les aïeuls de chacun d’entre eux se seraient fâchés il y a plus de cent-cinquante ans. -Vous comprenez pourquoi je vous ai appelés à l’aide, chuchota le Baron d’Harcourt à ses deux homologues. A chaque fois que je tente de démêler une situation ici, les discussions prennent une ampleur démesurée sans que je puisse y comprendre quoi que ce soit. -Avez-vous déjà tenté de leur parler un par un ? demanda Osbert. Peut être que cela aiderait à au moins suivre un fil de pensée … - Pensez-vous? J'ai effectivement essayé mais ces gens semblent tellement obsédés par leurs guéguerres que même quand je parle à l’un d’entre eux tout seul, il réussit l’exploit de débattre tout autant en monologuant comme si les autres étaient présents.


-Il me semble que ces gens sont perdus dans des disputes qui remontent à des années avant la naissance de qui que soit dans le village, fit remarquer Thorulf . Je dois avouer avec peine que j’y suis malheureusement habitué. Nos royaumes Scandinaves sont pleins de ces bisbilles ancestrales et elles sont toujours les plus complexes à démêler car elles ne reposent guère plus sur des choses tangibles. Ces gens se détestent juste parce qu’ils ont été élevés dans ce sens.


-Mais que faire, alors ? se désespéra Harcourt. Je n’ai aucune raison valable pour en choisir un plutôt que l’autre en tant que bourgmestre, et j’ai l’impression que quel que soit mon choix, je déclencherai une bataille sanglante. -Avez-vous déjà entendu parler du Demos Kratos ? demanda Thorulf. C’est un système qui a fait ses preuves à Athènes il y a fort longtemps et qui est parfois pratiqué dans ma région de Norvège. Les habitants votent pour celui qu’ils jugent le plus apte, et comme il s’agit automatiquement du plus populaire, vous ne vous retrouvez pas forcément avec le meilleur d’entre eux, mais au moins celui qui crée le plus de consensus.

- Cela me semble une étrange idée, avoua Osbert, qui s'éloigne du principe de droit divin en mettant le peuple au centre des décisions. J’entends déjà ma mère et Séraphin crier au sacrilège Thorulf sourit avant de continuer son argumentation.



-Voter pour déléguer une responsabilité à quelqu’un est encore loin de l’idée de Demos totale, quand bien même celle-ci me semble toujours préférable à celle de vivre sous le joug d’un seigneur incompétent. Je ne dis pas que ma solution est parfaite, mais elle pourrait acheter la paix dans le village pour un certain temps. Et si je puis me permettre, je remarque que votre mère et le chevalier Séraphin ne sont pas présents pour donner leur avis sur la question. Vous êtes le Baron, et c’est votre avis qui m’intéresse. Osbert leva alors les yeux vers l’assistance et remarqua pour la première fois l’absence de son chevalier. Étonné, mais presque soulagé de pouvoir prendre une décision sans chercher l’approbation de Séraphin, il croisa une nouvelle fois le regard d’Astrid qui lui sourit encore. Le jeune homme reprit son souffle avant de se retourner vers les deux autres Barons. -D’accord, dit-il, je me range à votre idée, mais seulement si le Baron d’Harcourt est d’accord, et si tel est le cas j’insiste pour y apporter quelques conditions. -Ha ! Voilà des paroles dignes d’un seigneur, s'esclaffa Thorulf en tapant sur l’épaule d’Osbert. Je n’imaginais pas vous infliger cette idée sans que nous affinions le concept ensemble. -Et bien, voilà un exercice de vote qui commence au moins sur une unanimité entre nous, approuva d’Harcourt. La seule chose qui m'embête dans cette idée, c’est qu’elle ne soit pas de moi. Profitons de l’arrivée des rôtisseries pour discuter des modalités ensemble.

Le coeur de Coventina Malgré la robe de Gersimi qu’il avait utilisée pour emballer l’orbe, Séraphin sentit une douce chaleur l’envahir à travers la toile. Il eut la sensation de tanguer légèrement, comme s’il avait ingurgité une bolée de calvados, et sa vision se mit à la fois à se brouiller sur les bords et à devenir plus nette au centre. La texture des objets autour de lui se faisait plus précise que d’habitude et certaines choses lui semblaient quasiment luminescentes. En plus d’une sensation de force qui s'emparait de tout son corps, la douleur créée par l’éclat de bois planté dans sa jambe lui sembla d’un coup adoucie. "Quel est ce pouvoir démoniaque ?” pensa-t-il, loin de se réjouir de ces effets pourtant plaisants.


Nonobstant sa méfiance, il décida que la meilleure solution pour lui était de ramener l’orbe au village, ainsi que les neuf éclats de Bifrost dérobés à Gersimi. Il pourrait ainsi prouver à tous les activités païennes auxquelles les Vanirviks s’étaient adonnés sur la colline et convaincre le Baron Osbert de cesser toute activité diplomatique avec eux. Il pourrait peut-être même convaincre Osbert et d’Harcourt d’emprisonner directement Thorulf et ses compagnons restés au village. Après tout, si ces femmes pratiquaient leurs rituels avec tant d’insouciance en terre chrétienne, c’était certainement avec la bénédiction de leur suzerain. Alors qu’il se retournait vers la plaine pour décider du chemin à prendre, son regard fut attiré par une petite lueur blanche au niveau du sol. Il plissa des yeux pour mieux la discerner et se trouva tout aussi étonné que satisfait quand il comprit de quoi il s’agissait.


C’était bel et bien de Tuatha, cette affreuse sorcière masquée, réduite à la taille d’une mouche et perchée au sommet d’un brin d’herbe.

-Quel piètre stratagème pour vous dérober à moi, s’exclama-t-il en bondissant vers elle pour l’écraser d’un coup de botte. Tuatha eut à peine une seconde pour crier à ses camarades de s’éloigner quand la semelle de Séraphin s'abattit lourdement sur elle. Le reste de la troupe n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait avant d’être soulevés du sol une petite seconde par la secousse due à l’impact. Encore au sol, Gersimi ne trouva pas la force de se relever immédiatement, tétanisée par la vision de la druidesse disparaissant sous la botte. C’est à peine si elle sentit les bras de Klotilde et d’Alwin qui l’aggripèrent pour la cacher immédiatement avec les autres à l'intérieur d’un petit trou dans le sol.



Initiative hautement salutaire, car, après avoir relevé son pied, Séraphin se pencha aussitôt au-dessus de la zone pour vérifier s’il avait bien visé. Du bout des doigts, le chevalier ramassa un petit bout de jambe qu’il approcha de ses yeux en souriant.


-Que Satan t'accueille en son royaume, toi et les tiens, dit-il en essuyant ses doigts dans l’herbe avant de se lancer dans une danse étrange, piétinant consciencieusement le sol tout autour de lui dans l’espoir de faire plus de victimes. Folle de rage, Gersimi se débatit pour se défaire de l’emprise de ses camarades. -Laissez-moi, hurla-t-elle, je vais m’occuper de cette ordure moi-même ! -Ca ne sert à rien, répondit Alwin en serrant son bras encore plus fort. Il faut retrouver notre taille d’origine avant d’espérer nous mesurer à … Il n’eut pas le temps de terminer sa sentence que Gersimi lui mordit le poignet pour le faire lâcher prise dans un cri de douleur. Ainsi libérée, elle se mit à courir hors du trou mais s’arrêta subitement à la sortie. Séraphin avait terminé son piétinement et venait de tourner les talons pour prendre la route du village.

Demos Tandis que les esprits se calmaient devant le plat de résistance, les trois Barons s’étaient penchés sur l’écriture des règles de leurs élections improvisées. Ils avaient poussé les victuailles de leur table afin de faire de la place aux parchemins qui leurs serviraient pour écrire et Folker, très cultivé en matière d’histoire Gréco-Romaine, les avait rejoints pour apporter son aide. Astrid lui avait emboîté le pas, très heureuse de se trouver enfin au cœur de l’action.

-Je vois que la petite a su profiter de l’occasion pour se rapprocher du Baron Osbert, s’amusa Runhilde en direction de l'abbé Chaumoite qui était resté son seul voisin de table. -Vous avez certainement l'œil plus aiguisé que moi pour ces choses, répondit-il. Runhilde sourit. -Excusez-moi, monsieur l’abbé, je ne voudrais pas vous gêner en vous forçant à parler de fruits qui vous sont défendus.


-Vous savez, le célibat a beau être réclamé pour les prêtres par l'évêché, c'est encore bien loin d'être la norme, et puis avec ce que je peux entendre en confession, ma chère dame, mes oreilles ne sont plus complètement naïves sur le sujet.


-Damoiselle, corrigea gentiment la jeune femme en soulevant brièvement la capuche qui avait jusque-là recouvert son crâne. Même si je ne suis plus contagieuse, les stigmates de ma maladie ne font pas de moi la cible préférée des prétendants. C’est peut être pour ça que je me projette un peu sur Astrid. Elle me rappelle celle que j’ai été à son âge.

Les cicatrices du visage de Runhilde n’étaient rien comparées à celles qui couraient le long de son cou et lui remontaient le long de l’arrière de la tête, et sa courte chevelure ne cachait en rien les crevasses qui arpentaient sa peau jusqu’en haut du crâne. L’abbé eut beau être très impressionné par ce spectacle, il se concentra sur le bleu des yeux de la jeune femme pour ne pas le montrer. -A quoi vous servent ces bandages si vous dites être guérie ? demanda-t-il candidement.

-A me cacher, tout simplement. La vie nomade que je partage avec Josuah et Svarold fait que chaque nouvelle étape, chaque nouveau village est pour moi la répétition des regards de surprise et de terreur des personnes me découvrant pour la première fois. Les bandages et la capuche inspirent le mystère et le respect plutôt que l’horreur. C’est un rapport aux autres certes artificiel, mais bien plus vivable pour moi. -L’éclat de vie qui éclaire votre visage, et la force qui l’habite sont largement suffisants pour les faire oublier, Damoiselle. Peut-être vous faudra-t-il simplement trouver un jour un endroit où poser vos bagages, au milieu de gens qui ne vous jugeront pas à vos cicatrices. Et si je peux vous assurer une chose, c’est que grâce à notre Baron Thorulf, Thoruvilla est un endroit qui vous correspondrait parfaitement. A ce moment, Bernard d’Harcourt reprit la parole sur scène. -Très chers futurs villageois, et vous pouvez me croire que quand je dis “très chers”, il ne s’agit que d’une formule de bienséance. Votre incapacité à tenir des débats m'empêche de pouvoir choisir n’importe lequel d’entre vous comme bourgmestre. Partant de ce triste constat, mes deux invités et moi-même nous sommes mis d’accord pour vous imposer un choix par le vote.

Toute l'assistance se mit soudainement à frémir d'un léger brouhaha, clairsemé de râles et de grognements outrés.


-Mais la famille Couloux est bien plus grande que celles de nous autres, s’insurgea Hugo Clermont. Choisir cette option, c’est comme déclarer Childéric vainqueur d’avance ! -Pas forcément, répondit d'Harcourt. Mais je laisse le jeune Baron Osbert de Janville vous énumérer les règles que nous avons édictées ensemble, et qui vont, j’espère, palier à toutes ces questions techniques. Osbert se leva de son siège, tenant sous ses yeux un parchemin rempli d’encre encore fraîche. Puis il en lut le contenu à la foule médusée.

Oh capitaine, ma capitaine


Klotilde s’approcha doucement de Gersimi, cherchant ses mots pour tenter de consoler son amie.


-Je sais que je n’ai pas été juste avec elle, mais je suis sincèrement désolée pour ce qui vient de se passer. Je ne l’ai jamais vraiment aimée mais je ne souhaitais vraiment pas sa mort. -Elle est vivante, répondit simplement Gersimi, se retournant vers Klotilde avec un large sourire sur le visage.


-Pardon ?


-Je l’ai vue au moment où Séraphin a tourné les pas! Elle a pu se cacher dans le creux du talon de la semelle de cet imbécile. Elle est bien vivante !


Effectivement, le petit bout de jambe que Séraphin avait pris, à tort, pour un membre de Gersimi n’était autre que le reste de repas de l’araignée qui était tombé au sol quand cette dernière avait été écrasée par la pomme.





-Nous n’avons plus qu’à espérer qu’elle réussisse à utiliser le pouvoir de l’orbe pour reprendre sa taille normale, battre le chevalier, nous retrouver et nous guérir nous aussi de cet enchantement, dit Rolf en s'asseyant par terre. Nous devrions trouver un endroit à la fois bien en vue et à l’abri des araignées en attendant.


-Voilà des paroles peu dignes d’un Vanirvik, s’offusqua Klotilde. il est hors de question que je reste les bras croisés alors que ce fou furieux cours vers Thorulf et les autres avec plus d’artefacts magiques dans les mains qu’un nain de Nidavellir !


Gersimi regarda Klotilde en souriant. Le ton de la voix de la navigatrice était plein d’une assurance qu’elle avait peu montré ces derniers mois et faisait plaisir à entendre.


-Tu sembles parler comme une femme qui a un plan, ma chère amie.


-Tu ne crois tout de même pas que je vais laisser à Tuatha le plaisir de tirer toute la gloire de cette histoire en combattant Séraphin toute seule ? répondit Klotilde en souriant elle aussi. Je suis toujours votre capitaine, et, grâce à ton amie masquée, je pense avoir la chance de vous le prouver encore une fois !






FIN DU CHAPITRE. Rendez-vous début Novembre pour le grand final !



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