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Seigneur, j'ai rétréci les Vikings. Chapitre 1



Mal de terre.


Le Baron Thorulf

Thorulf avait hérité du titre de Baron de la côte fleurie depuis deux ans déjà.


Deux années de sédentarisation qui avaient offert au clan des Vanirviks une nouvelle vie. Ils avaient installé leur fief dans la petite ville portuaire qui portait maintenant le nom de Thoruvilla (aujourd’hui Trouville-sur-Mer) dont leur très bonne gestion avait fait un des fleurons commerciaux de la région.

La plupart des Vanirviks avaient pris part dans l’organisation générale des affaires de la baronnie.




On avait profité du talent pour les langues des jumeaux Folker et Rolf pour leur donner en charge la gestion des affaires commerciales, Solveig la Chasseuse surveillait que l’expansion des villes ne nuise pas à la nature environnante. Thorulf avait quand à lui endossé le difficile travail de gérer les relations d’une baronnie non chrétienne au cœur d’une royauté qui s’était elle-même autoproclamée “fille aînée de l’église”. Être adoubé Baron par le roi lui-même n’avait pas complètement apaisé les relations avec les seigneurs environnants et la côte fleurie était très surveillée par ses voisins. Mais les affaires de la Côte Fleurie étaient si prospères que les Vanirviks avaient gagné le soutien de la plupart des habitants.

De Gauche à Droite : Solveig la chasseuse, Thorulf, sa pupille Astrid, la capitaine Klotilde, Gersimi la Bifroster et les frères Folker et Rolf.

Seule la capitaine Klotilde n’avait jamais réellement profité de la situation de rêve qu’ils s’étaient construite. A la tête d’une flotte qui ne naviguait plus que rarement, son mal de terre chronique lui interdisait de passer trop de temps hors du longship dont elle avait fait sa maison. Certes, elle pouvait descendre du bateau, mais jamais plus de quelques heures d’affilée. Elle se sentait un peu à l’écart des aventures de ses amis, dont elle ne profitait que quand on les lui racontait.


Elle avait aménagé son bateau, le “Jormun”, pour en faire une habitation confortable, et c’est de là qu’elle supervisait les travaux de rénovation du port de Thoruvilla qui prenaient la plupart de son temps.



Gersimi aimait beaucoup prendre son repas du matin sur le Jormund avec Klotilde avant de partir travailler. Elle était arrivée à Thoruvilla quelques mois après les autres, appelée par Thorulf pour prendre en charge l’éducation mystique de la petite Astrid, une jeune orpheline que Klotilde et le Baron avaient adoptée quelques années auparavant.


Gersimi faisait partie d’une école de sorcellerie particulière, les Bifrosters, qui puisaient leur magie dans des pierres précieuses très rares, les éclats de Bifrost.

Klotilde et Gersimi

Ce matin-là, Gersimi réveilla Klotilde bien plus tôt que d’habitude, avec un ton d’excitation inhabituel dans la voix. -Aujourd’hui, nous partons dans les terres pour quelques jours, Thorulf a été sollicité par notre baron voisin de l’ouest , Bernard d’Harcourt, pour statuer sur une affaire complexe. Ça va être une bonne occasion d’initier Astrid aux choses de la politique et de visiter un coin que nous connaissons mal. -Tu as raison, ces Francs ont l’air obsédés par les problématiques politiciennes et elle va devoir apprendre à s’en dépêtrer si elle grandit ici. -Et puis ça te fera voir un peu autre chose que les plages de la côte fleurie. Klotilde s’arrêta quelques secondes en fixant Gersimi du regard, se demandant si ce “te” était intentionnel ou un simple lapsus. L’air très satisfait de son amie semblait indiquer qu’elle était loin d’avoir fait un lapsus. -Ne me taquine pas, tu sais très bien que je ne partirais jamais dans les terres aussi longtemps sans passer mon temps à vomir. -C’est exactement là que je veux en venir, surenchérit Gersimi, la bouche pleine du gros morceau pomme qu’elle était en train d’engloutir. Te souviens-tu de Tuatha, cette étrange autochtone qui avait sympathisé avec Astrid ?


-Celle qui porte un masque du soir au matin ...


La moue de Klotilde alors qu’elle prononçait ces mots ne brisa pas l’élan de Gersimi qui se leva tout de suite en la poussant vers sa chambre.


Tuatha, avant la fameuse bataille de La Cité des Arbres

-Elle m’a appris qu’elle connaissait un lieu de forte magie à deux pas de la rencontre des barons, une source habitée par une divinité qui serait à même de guérir ton mal de terre. Alors habille toi ! s’exclama-t-elle en tirant fortement sur la robe de chambre de Klotilde. Le voyage sera difficile, certes, mais le jeu en vaut la chandelle.


-Calme toi, répondit Klotilde en fronçant des sourcils. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de source ? Je n’ai jamais accordé une grande confiance à cette Tuata. Quelqu'un qui ne montre jamais son visage a forcément quelque chose à cacher. -Tu oublies un peu vite qu’elle a sauvé la vie d’Astrid l’année dernière.





-Et je lui en serai éternellement reconnaissante, mais je n’oublie pas qu’elle y avait un intérêt et je sens qu’elle se méfie de moi aussi. -Et tu n’as pas pensé que c’était ton attitude qui l’éloignait ? Elle peut être plus loquace que son apparence ne laisse penser. Nous avons beaucoup échangé, elle et moi, sur les pratiques magiques Celtes et Scandinaves. Elle est très ouverte, cultivée et souvent même assez drôle. -Tu n’as qu'à prendre tes déjeuners avec elle si tu l’apprécies tant que ça, mais permets moi de rester sur mes gardes. Gersimi fit semblant de ne pas noter le ton de jalousie à peine déguisé de Klotilde tout en fouillant dans la malle à vêtements de son amie.


-C’est effectivement ce qui va se passer toute la semaine si tu ne viens pas. Avec aussi Astrid, Thorulf, les frères Kobold et une dizaine d’autres ... Je pense que nous saurons te protéger contre les plans maléfiques de Tuatha, ha ha ha.


-Mais qui va mener les affaires de Thoruvilla si tout le monde s’en va pendant une semaine ! -Solveig ! Elle dit avoir déjà chassé par là-bas avec Tuatha et conseille le voyage à tout le monde. Il paraît que cette région est magnifique.


Tuatha, Tuatha, encore Tuatha, pensa Klotilde. Cette Tuatha devenait décidément la meilleure amie de toutes ses amies, elle rumina tellement cette pensée qu’elle ne remarqua que trop tard que Gersimi lui avait fait enfiler ses vêtements, comme à un bébé.


-En route, mauvaise troupe ! cria gaiement la bifroster en tirant Klotilde par la main vers le pont.


C’est donc en trainant des pieds derrière une Gersimi surexcitée qu’elle découvrit, interloquée, que toute la troupe l’attendait déjà sur le quai, prête à partir. Tuatha était une fois de plus la seule qui n’était pas à cheval, chevauchant sa fidèle monture, le grand cerf Cernunn.


En route, mauvaise troupe !

- Je suis désolé, dit Thorulf dont le sourire à peine dissimulé indiquait qu’il était tout sauf désolé. C’est Gersimi qui nous a prévenus d’être prêts à partir avant que tu changes d’avis. -Mais vous savez bien que je serais incapable de faire un tel trajet à cheval, se lamenta Klotilde dans un dernier effort pour échapper à l’aventure. -Regarde derrière toi, l’abbé Chaumoite qui arrive ! Il nous accompagne lui aussi avec sa charrette, répondit Gersimi, qui avait décidément tout prévu. Tu pourras faire la route allongée à l’arrière !


S’avouant vaincue, Klotilde lança un dernier regard vers le Jormun avant de prendre place sur la charrette.



Un jeune seigneur.

Le Baron Osbert De Janville avait hérité de son titre dès la naissance. Son père était mort, tué par une de ses propres flèches lors d’un accident de chasse. Menacée d’être déchue de son titre, car elle et le baron n’avaient pas d’héritiers, la mère d’Osbert annonça être enceinte du baron le lendemain même du décès, et accoucha d’un beau bébé blond douze mois plus tard. Le prêtre du château avait fait remarquer que les grossesses duraient en général moins longtemps, mais on retrouva son corps le lendemain, suicidé de douze coups de couteaux, et personne ne revint jamais embêter la baronne avec d’inutiles questions de mathématiques. Il avait aujourd’hui à peine douze ans, mais Osbert avait déjà la réputation d’un homme sage.


Sa baronnie était voisine de celle de Bernard d’Harcourt, encore un peu plus à l’Ouest. D’Harcourt l’avait invité, lui aussi, à cette fameuse réunion. Ce qui n’était pas du goût du Chevalier Séraphin. Le chef des armées d’Osbert avait en horreur tout ce qui pouvait venir des pays Scandinaves.




-Je comprend que vous ayez voulu éviter les affrontements avec cette tribu Vikings jusque là, mais cette réunion me semble pousser la compromission un peu loin, mon Seigneur.


-Je prends note de ton désaccord, mon brave Michel. Je sais qu’il est difficile pour quelqu’un d’aussi pieux que toi d’échanger avec des païens. Mais je me dois de te rappeler que l’accession de Thorulf à la Baronnie de la Côte Fleurie a été bénie par le Roi en personne, et que nous n’avons aucunement eu à nous plaindre de ce voisinage. Et cette invitation nous vient d’Harcourt. Pas de Thorulf.


Le jeune Baron Osbert et son bras droit, le chevalier Séraphin.

Âgé d’une quarantaine d’années, Michaël Seraphin était issu d’une famille pauvre, et avait fait preuve dès son plus jeune âge d’une ferveur religieuse sans pareille. S’il avait toujours semblé évident à son entourage qu’il deviendrait prêtre, son goût de l’action l’avait finalement entraîné à s’engager dans la garde du baron. Il grimpa les échelons de l’armée jusqu’à se faire sacrer chevalier, puis commandeur des hommes d’armes du Baron. Devenu ami et confident de la baronne, il avait tendance à parler en utilisant un ton très paternaliste envers Osbert, même s'il savait rester à sa place.


-N’oubliez jamais que le premier geste des Vikings sur ces terres fut d’attaquer un monastère. Ce sont des ennemis de Dieu avant tout. - Cette histoire de monastère a plus de 80 ans, Michaël. Je lisais justement ce texte qui raconte que les attaquants ont ensuite avoué qu’ils ne savaient pas ce qu’était un monastère et avoir été terrifiés par les statues de Jésus Christ, qu’ils ont pris pour de véritables hommes crucifiés par des sauvages.


-Et c’est bien parce qu’ils sont des païens sans foi ni loi qu’ils ne savent pas reconnaître une image de notre seigneur !

Osbert voyait que la discussion n’avançait pas vers le compromis et mis fin sèchement à la conversation.

- Ne croyez pas que je n’écoute pas vos conseils, mon ami. Mais quand je pense à ce qui nous attend aujourd’hui, les Vikings m'effraient bien moins que les habitants du Douet.




Sur la route.


Le chemin de Thoruvilla jusqu’aux abords du Douet n’était que d’une demie journée. La campagne,avait revêtu ses couleurs d’automne, donnant à la nature un aspect flamboyant. Vautrée à l’arrière de la charrette conduite par l’abbé, Klotilde essayait de ne pas rendre son déjeuner tout en fixant du regard Tuatha qui chevauchait son cerf quelques mètres devant.



-Puisque je dois supporter cette torture, quelqu’un pourrait peut être m’expliquer le but précis de ce voyage, bougonna Klotilde.


-C’est une affaire peu commune, répondit Thorulf. Le baron de Janville et moi-même avons été invités par le Baron d’Harcourt pour l’aider à régler une situation politiquement tendue sur ses terres… -Nous allons créer un nouveau village !!! Interrompit la petite Astrid, visiblement aussi excitée que Gersimi par l’aventure. Elle s’arrêta aussitôt, se rendant compte qu’elle venait de couper la parole à Thorulf. -Mais je t’en prie, dit ce dernier en souriant. Je t’ai fait venir pour que tu en apprennes plus sur la politique. Que tu racontes la situation à Klotilde sera un très bon exercice pour voir si tu as suivi l’affaire. Astrid ne se fit pas prier et déblatéra toutes les informations qu’elle avait, si vite que Klotilde avait du mal à la suivre. -Les rives du Douet sont habitées par trois clans. La famille Couloux, propriétaire d’un gros corps de ferme à deux pas du cours d’eau. Ils vivent ici depuis si longtemps que personne ne connaît le premier de leur lignée et ils fournissent la région en nourriture à plus de dix lieues à la ronde. La famille Clairemont, elle, vit sur les hauteurs et entretient une gigantesque forge dont la réputation n’est plus à faire. Enfin, la famille Goubert a installé son auberge au bord des rives il y a une centaine d’années, “L’auberge de la Boule d’Or”, dont le succès va grandissant jour après jour grâce à l’activité économique générée par les deux autres.


-Les rives du Douet semblent propices aux talents remarquables, remarqua Klotilde. -C’est bien là le problème, continua Astrid. Le succès grandissant de ces familles a fait que leurs domaines se sont agrandis jusqu’à se rejoindre et à former un véritable village à l’économie florissante. Que ce soit pour s’y approvisionner en nourriture ou en outils, l’endroit est très prisé, d’autant qu’il est facile de s’y loger. -Les commerces des uns ramènent des clients aux commerces des autres en créant des cercles vertueux. Je ne vois toujours pas en quoi cela crée des problèmes. -Et pourtant, c’est bien là le problème. Le temps est venu de faire de la localité un bourg officiel et le Baron d’Harcourt a tenté plusieurs fois de nommer un échevin. Mais les trois clans semblent se détester tous autant les uns que les autres et chaque fois qu’il nomme quelqu’un d’une des parties, les deux autres en font un tel scandale que la situation tourne au pugilat.

-Le Baron d’Harcourt semble excédé par la situation, précisa Thorulf, et il organise ce soir une réunion conviant toutes les personnes d’influences du village pour régler la situation une bonne fois pour toutes. Il a précisé dans son invitation qu’il souhaitait inviter les Barons des régions voisines pour apporter un regard extérieur sur la situation.


-Voilà un Baron ouvert d’esprit, dit Klotilde. -Au vu du ton de son courrier, il a surtout l’air épuisé. -Je crois que je vais vomir.


L’effort de concentration de Klotilde pour comprendre cette histoire lui avait fait oublier son mal de terre quelques instants, mais un haut le cœur venait de le lui rappeler violemment.


-Tenez bon, dame Klotilde, dit l’abbé. Si les deux années en votre compagnie m’ont appris une chose, c’est que le champ des possibles est bien plus vaste que ce que je pensais. Qui sait, cette Tuatha va peut être vous guérir.


-Vous voulez-dire qu’en plus, je vais devoir lui être reconnaissante ?


-Je veux dire que si un prêtre comme moi peut voyager aux côtés d’une sorcière telle que Gersimi, votre méfiance envers elle pourrait tout à fait s’estomper.


-Bifroster, monsieur l’abbé, corrigea Gersim, faussement effarouchée. L’art de la sorcellerie et celui des Bifrosters sont tout à fait différents. Vous avez pourtant suivi assez de mes cours destinés à Astrid pour faire la différence.


-Je doute que l'évêché fasse autant de subtilités que moi sur les différences.


L’abbé avait effectivement dû remettre beaucoup de ses préjugés en perspective depuis l’arrivée des Vanirviks sur la côte fleurie. Il avait tout de suite eu beaucoup de sympathie pour ce Thorulf qui était passé du jour au lendemain de simple migrant à seigneur de sa ville.


L'abbé Chaumoite

Suite aux évènements qui lui firent porter la couronne qu’il ne portait jamais, Thorulf avait ordonné par décret que n’importe quelle pratique religieuse était autorisée sur ses terres.


Il y était même possible de ne rien pratiquer du tout sans craindre le bûcher ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.


Cette loi était loin d’être du goût de l’évêché, mais Chaumoite avait réussi à leur faire entendre que la situation était bien meilleure avec ce compromis que dans certaines régions où les affrontements entre chrétiens et païens avaient fait chuter drastiquement l’espérance de vie des habitants.




De plus, c’était le roi lui-même qui avait offert la baronnie à Thorulf, et s’ils avaient quelque chose à dire, ils n’avaient qu’à s’en plaindre auprès de lui. L’arrivée un an plus tard de Gersimi comme enchanteresse officielle du Baron avait un peu angoissé l’abbé, mais cet érudit fut bien vite fasciné par ses discussions avec la jeune femme. Au point qu’il avait demandé à pouvoir observer les cours qu’elle donnait chaque matin à la petite Astrid.


-Monsieur l’abbé fait beaucoup d’efforts pour comprendre notre cosmogonie, mais il a beaucoup de mal à comprendre comment fonctionne l’arbre monde, s’amusa Astrid, qui voyageait à côté de la charrette sur un cheval plus petit que les autres.


-Je dois avouer que j’ai beaucoup de mal moi aussi à comprendre cette histoire de Dieu unique en trois personnes, surenchérit Gersimi en souriant, mais nous discutons de ces sujets et il ne m’étonnerait pas qu’Astrid devienne aussi érudite sur cette nouvelle religion que sur la nôtre.


Tandis que la conversation sautait du coq à l’âne dans la bonne humeur, Tuatha avait approché Cernunn vers la charrette. Klotilde leva les yeux vers elle en essayant de lui sourire du mieux qu’elle pouvait, mais le masque sans visage, sans même un seul trou pour les yeux, rendait la communication non-verbale un peu complexe. C’est heureusement Tuatha qui brisa la glace. -Je te remercie de ta confiance, Klotilde. Que tu remettes la guérison de ton mal dans mes mains, et celle de mes divinités est un grand honneur pour moi. Klotilde échangea un bref regard avec Gersimi, qui observait l’échange avec un sourire attendri. C’était certainement elle qui avait poussé Tuatha à venir sympathiser avec elle. -Je … Euh … C’est un grand honneur pour moi aussi. Tuatha tendit alors son bras vers Klotilde, avec, posé sur sa main ouverte, un étrange pliage de parchemin.

-Qu’est-ce que c’est ?


-J’ai plié cette feuille à l’effigie de ton bateau, afin de te donner du courage pour la route.


Klotilde se saisit de l’objet en remerciant Tuatha. Après quelques secondes d’observation, elle discerna effectivement une forme de coque de navire. Le résultat n’était pas forcément très proche de l’esthétique du Jörmun, son œil de navigatrice dû reconnaître que la forme du navire de papier était plutôt fonctionnelle et intelligente.


-Ce longship manque d’une voile, osa remarquer la capitaine, qui voulait rester polie mais ne pouvait s’empêcher de noter ce détail important.


Tuatha se pencha alors le long du flanc de Cernunn et approcha son visage de Klotilde, comme pour lui chuchoter à l’oreille.


-C’est un symbole, glissa-t-elle tout bas, il n’est pas vraiment fait pour naviguer.


Puis elle s’éloigna de la charrette, tandis que Klotilde se demandait encore si cette dernière phrase était une preuve d’humour ou si Tuatha la prenait vraiment pour une andouille.


Un village de rêve.


Plus la troupe s’enfonçait dans les terres, plus la végétation se faisait dense et variée. Les nuances de rouge et de jaune étaient de plus en plus nombreuses et subtiles.


-Les nuits aussi sont magnifiques, surenchérit Tuatha. Les lucioles sont si nombreuses qu’on ne discerne parfois plus le sol des étoiles.


S’étant comme à leur habitude beaucoup documentés avant le voyage, les jumeaux Folker et Rolf semblaient s’être lancés dans un concours à celui qui nommerait le plus précisément tel arbre, telle fougère, telle espèce d’écureuil.

Quand ils arrivèrent aux abords du village, l’après-midi était déjà fort avancé. Un des hommes d’armes d’Harcourt les attendait à l’entrée pour les guider jusque sur la place centrale. Un geste qui tenait plutôt de la politesse que d’un réel besoin d’orientation. Le village des bords du Douet était de petite taille et n’avait qu’une place centrale qui occupait à elle seule un tiers de la superficie du lieu.


- Je crois bien que c’est l’endroit le plus mignon que j’ai vu de ma vie, jubila Gersimi. Regardez-moi ces fleurs, ces colombages !

Aujourd'hui appelé Beuvron en Auge, le village des bords du Douet a su garder le charme qu'il avait à l'époque de notre histoire.

-Et les habitants ont l’air plutôt chaleureux, remarqua Thorulf alors qu’il renvoyait un salut de la main au troisième passant qui le saluait. -Ne vous fiez pas aux apparences, monseigneur, chuchota le guide d’un air morose. Ceux qui vous saluent sont ceux du clan des forges. Ils ont entendu parler du goût des Nains Scandinaves pour l’art de la forge et voient en vous un allié potentiel dans la réunion de ce soir. La situation est en réalité très tendue. J’ai dû participer moi-même à l’arrestation de trois d’entre eux qui ont tenté d’incendier la ferme des Couloux pas plus tard qu’hier soir. - Je vous assure que je n’ai jamais forgé autre chose que mon caractère, répondit Thorulf amusé.


Après avoir longé la rue principale, ils traversèrent un petit pont qui enjambait le Douet juste avant d’arriver sur la place au milieu de laquelle une gigantesque halle ouverte abritait de grandes tables sur lesquelles s’affairaient de nombreuses petites mains pour préparer la réunion du soir. Une estrade avait été montée avec des tables un peu plus luxueuses.


-D’Harcourt a l’air de nous avoir préparé un banquet somptueux dit Thorulf d’un ton satisfait. -Vu le temps que risque de prendre la réunion, vous allez remercier le ciel de pouvoir manger en même temps que les palabres, rétorqua le guide. Au fait, avez vous des armes sur vous ? -Pour prendre la route, bien sûr, répondit Thorulf. Vous voulez certainement nous les confisquer le temps de la réunion ? -Pas du tout. Si vous n’en aviez pas eu, je vous en aurais fourni moi même. Vous ne savez pas de quoi ces gens sont capables, dit le guide en regardant Thorulf droit dans les yeux. Le reste des Vanirviks suivait la scène avec étonnement. Les tremblotements de voix du guide respiraient une terreur qui contrastait violemment avec la beauté de la place. Les façades y étaient encore plus fleuries que le long de la rue qui les avait amenés là. Et chacune des demeures avait ses colombages peints dans une couleur différente des autres. On se serait cru dans un de ces décors miniatures que les marionnettistes fabriquent pour leurs spectacles ambulants. -Bienvenue à vous et aux vôtres, Seigneur Thorulf ! C’est un honneur de vous recevoir sur mes terres.


Thorulf se retourna pour reconnaître le Baron d’Harcourt entouré de quelques hommes d’armes et d’un jeune homme aux vêtements aussi soignés que les siens.


Le Baron Bernard d'Harcourt

-Laissez-moi vous présenter le Baron Osbert De Janville, qui m’a aussi fait l’honneur de sa présence. Derrière Osbert se tenait le chevalier Seraphin, le regard sombre et la main posée sur la crosse de son épée, comme pour signifier que le premier qui s’en prendrait à son Baron aurait affaire à lui. - Tout l’honneur est pour moi, dit Osbert. Tout autant que de vous rencontrer enfin, Seigneur Thorulf. Astrid était impressionnée de voir quelqu’un de son âge porter les mêmes responsabilités que Thorulf. Grand-Nain avait beau passer une journée par semaine à lui donner des cours de politique qui la passionnaient, elle trouvait cet art fort complexe et se serait sentie bien incapable d’endosser un tel titre aussi jeune. -Je vois beaucoup de femmes dans votre troupe, remarqua Seraphin. Vous n’avez pas peur de vous faire agresser sur le trajet. -Les femmes Scandinaves ne reçoivent pas la même éducation qu’ici, chevalier, répondit immédiatement d’Harcourt. Ces damoiselles sauraient sans nul doute faire face à n’importe quel bandit de grand chemin. Bernard d’Harcourt était d’origine Scandinave. Son grand-père, Torf, s’était installé dans la région cinquante ans auparavant et avait fait partie, bien avant Thorulf, des Nordiques qui avaient réussi à briguer des titres de noblesse sans heurts ni batailles. Afin de montrer sa bonne foi, Torf s’était immédiatement converti à l’église et avait changé son nom pour celui d’Harcourt afin de mieux s’intégrer, ce qui n'empêchait d’ailleurs pas la plupart des gens d’appeler encore son petit-fils “Bernard le Danois”. Alors que ce dernier ne parlait même pas un seul mot de la langue de ses ancêtres, il avait tout de même beaucoup d’intérêt, et de sympathie pour la culture Nordique. -Est-ce aussi l’habitude des femmes Nordiques de porter un masque ? Quelle marque de confiance de dissimuler ainsi son visage, surenchérit le chevalier, visiblement troublé par l’apparence de Tuatha. A ces mots, Klotilde échangea un regard avec Gersimi. Elle entendait ses propres mots dans la bouche du chevalier et se sentait un peu bête. -Les ancêtres de Tuatha habitaient ce sol bien avant n’importe lequel des nôtres, répondit Thorulf calmement, mais je réponds d’elle comme des miens. Le jeune Osbert lança un bref regard fâché vers Seraphin avant de reprendre la parole. -Pardonnez Sire Dumont. Ma mère lui a donné ma sécurité en charge et il la fait souvent passer avant la politesse. -Quoi qu’il en soit, la réunion ne débutera que dans quelques heures, interrompit d’Harcourt. Seigneur Thorulf, Seigneur de Janville, je vais rester ici pour continuer les préparatifs. Je suis désolé de n’avoir aucun château ici pour vous offrir le gîte, mais je vous invite tous à vous rendre à l’auberge de la Boule d’Or en attendant. Les chambres les plus luxueuses y ont été réservées pour vos délégations, avec, bien sûr, une ardoise illimitée pour chacun d’entre vous.


-Une ardoise illimitée dans une des meilleures auberges de la région ? Il n’y a vraiment pas de quoi être désolé, s’esclaffa Thorulf. Je pense parler pour tous les miens en vous offrant nos plus grands remerciements.



L'auberge.


L’auberge de la Boule d’or était un endroit réellement impressionnant, et chaleureux. Le bâtiment faisait pas moins de trois étages, remplis à craquer des délégations d’Osbert et Thorulf à qui on n’avait effectivement pas eu besoin de répéter plusieurs fois que les boissons et la nourriture y seraient gratuites. Son propriétaire, Monsieur Goubert, était particulièrement accueillant avec ses invités. Faisant partie des trois familles dont le pouvoir était dans la balance lors de la réunion à venir, il désirait absolument faire une bonne impression. Une éventualité qui n’avait pas échappé aux deux autres familles qui avaient chacune déléguée des représentants pour remplir les chambres de cadeaux venant directement de la ferme et des forges.



L’ambiance, déjà festive alors qu’on était encore en plein jour, était assurée par un trio de ménestrels très particuliers. Les mélodies entêtantes d’un musicien talentueux accompagnaient une petite femme au visage marqué de cicatrices qui chantait des sagas Scandinaves en langue romane. Sur le côté de la scène, un autre homme plus âgé, à la carrure qui faisait plutôt penser à un guerrier, animait un petit théâtre de marionnettes sur un des bords de la scène pour illustrer les paroles des chants.

-Vous pouvez vous amuser un peu si vous le souhaitez, dit Tuatha à Klotilde et Gersimi mais nous avons notre propre cérémonie qui nous attend, et nous devons partir d’ici une petite heure si nous voulons être dans les temps. -Une autre cérémonie ? De quoi parlez-vous ? Les trois femmes se retournèrent comme une seule pour voir que le chevalier Seraphin était juste derrière elle, l’air encore plus suspicieux qu’avant. Avant que Tuatha ou Klotilde ne lui réponde quelque chose de désagréable, Gersimi prit la parole en tentant d’inventer une excuse au fur et à mesure que les mots sortaient de sa bouche. En dehors de la Baronnie de Thorulf, la pratique de la sorcellerie et des autres arts mystiques était punie de prison dans le meilleur des cas, et plus souvent même d’une invitation à prendre place sur un bûcher.

-Cérémonie ? C’est un bien grand mot que tu utilises pour parler de notre petite balade, Tuatha, ma chère. Voyez-vous, chevalier, il s’agit simplement d’une promenade que les femmes du nord font entre elles ... Quand … Quand elles sont ...

-Quand elles sont ? Je croyais que votre camarade masquée n’était pas de vos régions … Gersimi ne voyait pas comment se sortir de ce mauvais pas quand elle se rappela soudainement d’un sujet qui semblait toujours mettre les hommes chrétiens mal à l’aise. -Vous êtes marié ? -Bien sur. Elle s’approcha de l’oreille du chevalier et se mit à chuchotter.


-Et bien voyez-vous, nous sommes à cette période du mois où le corps des femmes éjecte quelques gouttes de sang afin de … Seraphin recula d’un coup avant que Gersimi ne finisse sa phrase. Les joues du chevalier avaient rougi sous sa barbe et ses yeux semblaient fixés sur ses propres pieds. -Taisez-vous, diablesse. Un homme ne doit pas parler de ces choses avec une étrangère. -C’est vous qui avez voulu savoir, s’esclaffa Gersimi, en s’échappant de la conversation vers le bar.

-Le Baron d’Harcourt fait beaucoup d’efforts pour plaire à ses amis vikings, bougonna Seraphin en direction d’Osbert. Même le ménestrel est un viking. -Je crois bien que le mot “viking” ne désigne que les “marins” dans leurs langues, répondit Osbert. Ces gens sont Scandinaves, Danois ou Norvégiens. -Quel bonheur d’entendre un Franc faire enfin la différence ! exulta Rolf qui passait par là, les bras chargés de bocs de cidre. Tout le monde ici a tendance à nous appeler “vikings” parce que les premiers Scandinaves qu’ils ont rencontrés étaient des vikings, mais c’est comme si quelqu’un d’un autre pays qui vous rencontrait en premier appelait tous les Francs des “Barons”.

-Imaginez ça, mon bon Michel, dit Osbert en éclatant de rire. Un endroit où tout le monde serait Baron, voilà qui me donnerait moins de travail ! Le jeune homme chercha quelques instants le chevalier du regard, mais il ne vit que son dos tourné, se dirigeant vers sa chambre. -Ne faites pas attention à lui, monsieur, s'excusa-t-il auprès de Rolf. Son père a trouvé la mort dans une bataille contre certains des vôtres, il y a trente ans de cela. Cette journée est un peu difficile à supporter pour lui. Pendant ce temps, Astrid s’était approchée de la scène, hypnotisée par le spectacle des ménestrels. La chanteuse avait capté son regard et semblait ne plus chanter que pour elle. Tant et si bien qu'elle se dirigea en bord de scène pour la saluer entre deux chants.


-Bienvenue à toi, jeune fille. Tes traits me semblent familiers, serais-tu par hasard originaire du Danemark ? -Oui madame. Je m’appelle Astrid Hognison. Mon père était un guérisseur des côtes de l’est. -Un guérisseur ou un Bifroster ? insista la chanteuse, passant d’un coup de la langue romane au Danois le plus parfait en regardant, avec un sourire en coin, la pierre d’éclat de Bifrost qui pendait au cou d’Astrid.

Astrid ne sut comment réagir à cette question, habituée à cacher les pratiques magiques de ses ancêtres que Gersimi lui enseignait depuis plus d’un an


-Ne t’inquiètes pas, Astrid. Je m’appelle Runhilde, et je suis originaire des mêmes contrées. J’ai moi-même quelques connaissances en matière d’arts mystiques. C’est grâce à la magie des Runes que j’ai pu soigner ma lèpre mais je sais qu’il convient d’être discrète à ce sujet en terres chrétiennes. J’espère pouvoir continuer la discussion avec toi et tes amis plus tard, mais je me dois de retourner chanter. Après tout, c’est pour cela que nous avons été invités. As-tu une préférence pour le prochain chant ?


-J’aime beaucoup les histoires de l’Asgardien Heimdall, répondit Astrid.


-Comme je le disais, une véritable Bifroster, s’amusa Runhilde en retournant sur le centre de la scène.


Le rituel.

Toujours aussi indisposée par son éloignement de la mer, Klotilde était montée s’allonger dans sa chambre en attendant le signal du départ pour la source magique. Elle tripotait pensivement le bateau de papier de Tuatha dans ses mains. Même si l’amie de ses amies n’avait pas réellement gagné sa confiance avec ce seul cadeau maladroit, Klotilde devait s'avouer qu’elle trouvait une sorte de réconfort dans l’observation de l’embarcation miniature. Elle réfléchissait à l’attitude de Dumont envers son clan et se demandait si sa propre méfiance lui donnait l’air aussi fermée et malheureuse que lui.


C’est Gersimi qui, tapant doucement à sa porte, la sortit de ses réflexions.


-C’est l’heure d’y aller, si nous voulons faire la route avant la tombée du jour.


Les trois damoiselles quittèrent donc l’auberge discrètement et entreprirent une marche d’une vingtaine de minutes, en suivant la rivière vers l’ouest. A mi-chemin, elle quittèrent le cours d’eau pour suivre un ruisseau affluent qui venait du nord, coulant le long d’une colline qui offrait un magnifique panorama sur toute la région. On pouvait y observer la splendeur des marais, magnifiés par le coucher de soleil. -Les habitants ont nommé la rivière le “Douet” à cause de sa petite taille, expliqua Tuatha. Alors qu’on parle souvent de “bras” de rivières, celle-ci leur a plutôt fait penser à un doigt. -Ont-ils appelé cet affluent le cheveu ? demanda Gersimi, tout en se rendant compte que ce supposé trait d’humour semblait bien plus efficace dans sa tête. -Ne juge pas ce ruisseau par sa taille, répondit Tuatha. C’est bien lui qui coule directement de la source sacrée du haut de la colline et, qui, je l’espère, guérira Klotilde de son mal. Elles finirent par perdre le ruisseau de vue alors qu’il s'engouffrait sous terre et arrivèrent en vue d’un arbre gigantesque qui dominait la cîme de la colline. -Quelle belle plante, s’ébahit Gersimi. Elle a la taille d’un vieux frêne mais n’en a pas du tout la forme… -Je crois bien que c’est un pommier, dit Klotilde qui plissait ses yeux pour essayer de mieux le distinguer dans la pénombre. -Impossible, rétorqua Gersimi. On n’a jamais vu un pommier aussi … Elle s’interrompit aussitôt car elles étaient maintenant assez proches pour que la Bifroster se rende à l’évidence. L’arbre qui trônait en face d’elle était bel et bien le plus grand, et le plus beau pommier qu’elle avait vu de sa vie. -Il prend ses racines juste au-dessus de la source souterraine, expliqua Tuatha à Klotilde. Les anciens d’ici racontent que c’est la divinité Coventina elle-même qui planta sa graine et offrit au passage à la région les plus belles pommes qu’on ait jamais vues. -Coventina est un esprit des eaux, continua Gersimi. Nous avons longuement discuté de comment procéder avec Tuatha, nous allons tenter d'amener son esprit sur toi afin qu’elle fasse ressortir en toi l’eau de chaque chose sur terre pour que tu puisses trouver le bien être sur la terre ferme.


Tuatha et Gersimi s’emparèrent alors de leurs sacoches et se mirent à en déverser du sable sur le sol devant le pommier pour faire un dessin de trois cornes entremêlées formant une sorte de triskel dans lequel Klotilde reconnut immédiatement le symbole Scandinave de la “corne d’Odin”. -N’est-ce pas étrange de former un symbole Nordique pour faire appel à une divinité Celte ? demanda la navigatrice.

-En étudiant la question, nous avons remarqué beaucoup de similitudes entre certains symboles d’ici et ceux de chez nous, répondit Gersimi. Un triskel Celtique et une corne d’Odin agissent d’après les mêmes nombres, les mêmes liens d’énergies. Tuatha et moi avons imaginé un rituel qui mélangerait un peu de nos deux savoirs pour encore plus d’efficacité ! -Je suis ravie de vous servir de terrain d’expérimentation, grimaça Klotilde. -Ne t’inquiète pas, dit Tuatha en même temps qu’elle grimpait dans l’arbre afin d’en cueillir trois pommes. Coventina est un esprit de paix et d'équilibre, et le pire qu’il puisse nous arriver serait simplement qu’elle ne nous réponde pas. Une fois redescendue des branches, Tuatha pressa les pommes dans ses mains, faisant couler leur jus dans trois petits bols déjà remplis à l’avance de diverses herbes et champignons. Sur ses indications, chacune des trois femmes but le contenu de son bol et s’assit en tailleur, épousant les formes de la corne d'odin.


-Ouvrez vos bras, ouvrez vos esprits, ouvrez vos cœurs, mes sœurs. Esprit de l’arbre, porte mon chant aux oreilles de Coventina la sage et répond à nos prières. Tuatha et Gersimi se mirent alors à chanter dans une langue que Klotilde n’avait jamais entendue. Chacune d’entre elles saisit la main de sa voisine et Klotilde sentit une douce chaleur envahir son estomac et s’étendre . Un fourmillement remonta le long de ses bras pour s’emparer de sa colonne vertébrale et de sa tête. Elle sentit son esprit dériver et sa bouche s’ouvrit pour chanter en cœur avec ses camarades ces mots qu’elle ne connaissait pas. La nuit était maintenant complètement tombée, mais les éclats de Bifrost qui ornaient constamment le corps de Gersimi s’étaient mis à diffuser une lumière qui faisait voir aux alentours comme en plein jour. Et au-delà de ce périmètre, toutes les lucioles des environs brillèrent elles aussi avec une puissance qui les faisait réellement se confondre avec les étoiles. Bien plus que le simple contact de leurs mains, elle ressentait maintenant les présences de Tuatha et Gersimi en elle comme si leurs corps ne faisaient qu’un, et il lui semblait entendre d’ici couler la source en dessous d’elle. Toute la nature environnante semblait danser à travers son corps.



Soudain, toutes les sensations agréables qui la traversaient se transformèrent en un violent sentiment d'oppression. Avec le sentiment de sortir d’un mauvais rêve, elle ouvrit les yeux pour se rendre compte qu’elle était à genoux, attachée par de fortes lanières et que ses deux comparses étaient exactement dans la même position. En face d’elles se tenait le chevalier Séraphin, entouré d’une dizaine de ses hommes à l’attitude belliqueuse. Pire encore, derrière les hommes d’armes se trouvaient, Rolf, quelques autres Vanirviks ainsi le grand marionnettiste de l’auberge, attachés ensemble avec la même grande corde.


L’étrange moment de rêverie créé par le rituel de Tuatha et Gersimi avait très certainement duré bien plus longtemps qu’elle ne l’avait cru. Et beaucoup de choses avaient dû se passer depuis.


Le chevalier Séraphin tenait dans son poing les pierres de Bifrost de Gersimi, qui brillaient encore de leur lumière surnaturelle.


-J’étais certain de bien avoir entendu le mot “cérémonie”, dit-il. J’espère que vous avez apprécié votre diablerie, car ce sera votre dernière.


A suivre ...


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