Depuis presqu’un an qu’elle avait rejoint la baronnie des Vanirviks de la Côte Fleurie, tout le monde avait pris l'habitude de côtoyer la grande silhouette masquée de Tuatha, et son corps toujours recouvert jusqu’au bout des doigts.
Ses nouveaux amis Scandinaves, confrontés au cours de leurs aventures à toutes sortes d'extravagances, n'avaient pas pour habitude de remettre en cause les usages vestimentaires de ceux qu’ils rencontraient et s'étaient donc simplement imaginé qu'il s'agissait d'une coutume des druidesses Armoricaines.
Néanmoins, la dernière aventure du clan des Vanirviks, qui les avait pour la plupart magiquement privés de leurs vêtements, avait révélé que le corps de leur nouvelle camarade n’était pas recouvert de peau, mais d’une étrange matière blanche, à la texture proche du bois, et que, ce qu’ils prenaient tous pour un masque, était en réalité son visage. (cf, Seigneur, j’ai rétréci les Vikings).
-Je m’excuse de vous avoir caché ma condition, dit-elle. J’avais peur que vous me rejetiez si vous découvriez que je ne suis pas humaine. À vrai dire, je ne sais pas très bien ce que je suis moi-même. La seule autre personne de mon espèce que j’ai connue était ma mère et elle a été assassinée alors que je n’étais qu’une enfant, justement en raison de son apparence. C’est là pourquoi je ne me suis jamais dévoilée auprès de qui que ce soit. Et c’était aussi le but premier de mon voyage ici. Je sais que mes ancêtres ont arpenté ce sol, et j’espère toujours y trouver des réponses sur mes origines.
-Pourquoi ne vas-tu pas demander conseil à Cantru, demanda Astrid ? Elle vit sur ces terres depuis des milliers d’années et elle en sait beaucoup sur l’histoire de la région. Astrid entretenait une forte amitié avec Cantrusteihiae, la géante de pierre, qui résidait toujours au cœur du labyrinthe des Roches Noires, à l’est de Thoruvilla. Depuis que les Vanirviks avaient découvert que la créature était tout sauf agressive, l’adolescente la visitait régulièrement pour l’écouter lui parler de l’histoire naturelle de la région. Elle la considérait comme une de ses tutrices au même titre que Gersimi l'enchanteresse. Gersimi aimait beaucoup Tuatha. Au-delà du fait qu’une druidesse et une enchanteresse ont forcément beaucoup de centres d’intérêts en commun, une grande complicité était née entre elles. Le combat qu’elles avaient mené ensemble contre les anguilles géantes de Beuvron avait encore davantage renforcé ce lien. Mais un non-dit de taille pesait malgré tout sur le cœur de Gersimi.
Elle en savait bien plus sur les ancêtres de Tuatha qu’elle ne le laissait entendre mais elle aurait dû, pour lui raconter, briser un secret d'une très grande importance.
-Peut-être devrais-je saisir cette opportunité pour aider Tuatha, pensa-t-elle. Je pourrais aiguiller les recherches dans la bonne direction en invoquant de fausses déductions logiques, ou une bonne intuition.
Et c’est ainsi que, dès le lendemain matin, Gersimi accompagna Astrid pour présenter Tuatha à Cantrusteihiae.
A la vue de la druidesse et de son apparence si particulière, la géante de pierre fut prise d’une vive émotion. Le souvenir de la tribu des Danann était encore très présent dans son esprit, et Tuatha leur ressemblait en tous points.
-Tes ancêtres parcouraient ces terres avant les Romains, avant les Celtes et avant même que les hommes aient pris forme. Les relations entre les humains et les Tuathas de Danann fut pacifique durant des millénaires, jusqu’à ce que certains hommes se découvrent une passion pour la notion d’Empire. Il y a près de mille ans, les Romains massacrèrent une grande partie des populations autochtones pour asseoir leur pouvoir, mais pas seulement. Certains de leurs dieux participèrent en personne à des batailles contre des êtres élémentaux comme moi.
"J’ai construit ce labyrinthe pour me cacher de la fureur de la déesse Minerve, qui causa de grandes pertes parmi nous. Je sais que les Tuathas se battaient aux côtés de la grande Niskaï, élémentale de l’eau, quand Minerve l’a tuée. Je n’ai jamais revu de Tuathas depuis. J'imaginais que vous aviez toutes disparu et tu me vois fort émue d’en découvrir une bien vivante."
-Je vous remercie, tout l’honneur est pour moi. Ce que vous venez de m’apprendre justifie à lui seul mon voyage en ces terres. Gersimi ne connaissait que trop bien l’emplacement où avait eu lieu la dernière bataille entre la Niskaï et Minerve. Ce qui était à l’époque une simple clairière de bord de fleuve était devenu, mille ans plus tard, le port de Touques. La pensée que les restes archéologiques de ce massacre gisaient sous les pavés qu’elle foulait du pied chaque matin de marché, étreignait régulièrement le cœur de l’enchanteresse. -Mes éclats de Bifrost m’envoient toujours de fortes vibrations quand j’arpente le port de Touques, dit-elle alors. Comme si quelque chose de dramatique s’y était passé. Si la Niskaï était une créature d’eau, il ne serait pas étonnant que la bataille ait eu lieu le long de la Touques. Les dégats causés par une bagarre entre deux divinités ont quant à eux pu déforester toute une rive, la transformant en un endroit idéal pour bâtir un port ! -Si tu as raison, voilà qui va mettre un sérieux frein à mes recherches, répondit Tuatha. Je ne vais pas faire détruire le port pour retrouver quelques ossements. -Mais vous pourriez passer en dessous, proposa Cantru !
-Que voulez-vous dire ? -Astrid se rappelle certainement qu’à l’époque où Lancelin Canisy possédait le mont qui surplombe Thoruvilla, il tirait sa richesse d’une grande exploitation minière. Sachez qu’en fait, ces mines utilisaient bon nombres de grottes naturelles qui existaient avant même qu’un seul humain ait posé le pied sur ce territoire. Ces grottes offrent de nombreux passages souterrains qui permettent de se déplacer à des lieues sous terre, comme celui qui a mené Lancelin jusqu’à la forêt du Bouquetot. Je peux vous assurer que certains d’entre eux conduisent jusqu’à l’autre côté de la Touques, en dessous du port.
-Mais comment les trouver ? demanda Gersimi. Ces passages ont certainement été emmurés, et nous ne les trouverons qu’en déplaçant chaque pierre des tunnels.
L’élémentale porta alors sa main de roche jusqu'à l’un de ses yeux de roche qu’elle détacha de son visage de roche comme si de rien n’était. On aurait dit une grosse opale qu’elle tendit à Tuatha. -Emmenez mon œil, je saurai lire la roche des tunnels pour trouver le bon chemin, et je pourrai vous parler à travers lui comme si j’étais à vos côtés, tout en prenant beaucoup moins de place.
Depuis que le clan des Vanirviks avait mis fin aux agissements du despote Canisy, Thorulf avait fait réduire les activités minières du mont à leur minimum pour en faire un lieu d’accueil destiné aux plus pauvres des habitants de la région. Les nouveaux occupants s’étaient ensuite organisés pour faire de l’endroit un lieu de marché où transitaient les meilleurs produits de la contrée avant de les redistribuer aux vendeurs des villes et villages environnants. Un système bien pratique pour que chacun ait accès à plus de produits sans avoir à faire le tour des différentes fermes et exploitations du territoire.
Après avoir déjeuné sur place, la petite bande entreprit donc de pénétrer dans les anciennes mines, suivant les indications de l’œil de Cantru, qui les emmena bien vite au bout du plus profond des tunnels de roche.
-Ce mur est un mensonge, dit la voix qui provenait de l’œil de Cantru. Il a été placé ici par un sortilège des Danann pour protéger leurs passages secrets. C’est à vous de jouer pour ouvrir ce chemin, dame Tuatha. Le sortilège laissera passer toute personne accompagnée d’une descendante de la tribu.
-Je n’ai pourtant aucune idée de la procédure à suivre, dit Tuatha en s’approchant timidement de la muraille.
-Ne vous inquiétez pas, c’est la magie elle-même qui saura quoi faire.
Tuatha dirigea alors sa main vers la surface rocheuse, comme pour tenter d’en prendre le pouls, mais ses doigts n’entrèrent jamais en contact physique avec la pierre. A la grande surprise de tout le monde, la muraille disparut aussi vite que la lumière du soleil quand le vent pousse un nuage devant lui, dévoilant un tunnel bien plus large et bien plus profond que ce que le sortilège des Danann le faisait croire.
-Un mur illusoire, s’exclama Gersimi ! Me voilà impressionnée. Qu’une telle magie perdure mille ans après leur disparition est le signe d’une grande puissance.
La galerie naturelle qui s’étendait au-delà du faux mur était bien plus étroite que celles de la mine, et les nombreux courants d’air faisaient souffrir leurs pauvres torches qui menaçaient de s’éteindre à chaque instant. -Il est temps de voir si tu as bien retenu comment utiliser ton éclat de Bifrost pour faire de la lumière, dit Gersimi en se tournant vers Astrid.
-Je suis peut-être ton élève, mais je ne suis pas une ignorante, répondit l’adolescente faussement vexée. J’ai déjà utilisé mon éclat pour faire de la lumière bien avant de te connaître.
Astrid ferma les yeux quelques instants en serrant son pendentif avec ses deux mains. Il fallut à peine quelques secondes pour qu’une lueur bleuté en émane et se mette à éclairer la route.
-Tu n’utilises pas les tiens, demanda-t-elle ensuite à Gersimi ?
-Je préfère me tenir prête en cas de besoin. Qui sait les dangers qui se cachent dans ces couloirs.
Bien heureusement, aucun fantôme, aucun monstre, n’attendait nos amies tandis qu’elles arpentaient le long chemin souterrain. A vrai dire, le plus grand des dangers aurait certainement été de se perdre, mais Cantru était tout à fait confiante dans sa capacité à les guider. Cantrusteihiae n’était pas une simple créature de pierre. En tant qu’Elémentale, elle était elle-même l’esprit des roches de la région, et elle ressentait les émotions qui habitaient les lieux tout aussi clairement qu’on peut sentir l’eau quand on y plonge les doigts. -Une grande tristesse habite les tréfonds de ces tunnels. Plus nous nous approchons, plus je ressens de la souffrance, sans réussir à définir exactement d'où elle provient.
Alors que certains des chemins étaient si étroits que les filles devaient les emprunter à quatre pattes, elles finirent par atteindre un passage qui gagnait de plus en plus en largeur.
-On dirait une rivière souterraine, remarqua Astrid.
-Elle a dû se dessécher peu à peu quand Athena a tué la Niskaï, répondit Cantru. La disparition d’une Elémentale est toujours un désastre pour les formes de vies qui y sont liées.
Elles continuèrent leur chemin le long du lit de l’ancien cours d’eau pendant une bonne demi-heure, découvrant avec intérêt les nombreuses ouvertures vers d’autres petits tunnels qui partaient dans toutes les directions. -Si mon sens de l’orientation ne me trahit pas, je pense que celui-ci mène directement à la forêt du Bouquetot, dit Astrid. C’est certainement un de ces passages que Lancelin avait emprunté pour attaquer la cité des arbres. -Je peux encore sentir l’odeur infernale de la boue noire qu’il avait répandu, renchérit Tuatha. Nous devrions utiliser tes algues magiques pour finir de nettoyer ce qu’il en reste dans ces couloirs.
-J’en ai toujours un peu sur moi au cas où, mais pas assez pour un tel travail. Il faudra revenir avec toute une équipe.
- Regardez, là bas, on dirait des habitations ! Gersimi indiquait du doigt une grotte encore plus large qui les attendait en amont. Si large, et haute que cette fois-ci, elle dut ajouter la lumière de ses huit éclats de Bifrost à celle créée par Astrid pour leur offrir un peu de visibilité. Au bord du lit de l’ancienne rivière, se trouvaient une dizaine de cavités plus petites et de cabanes de pierres qui semblaient être organisées autour d’une place, comme dans un village. Curieuse et excitée à la fois, Tuatha s’engouffra immédiatement à travers la porte la plus proche.
-Ne rentre pas, Astrid, dit Tuatha en ressortant presque immédiatement.
Elle chuchotait presque et ses jambes tremblaient un peu.
-Elles sont encore là, dit-elle ensuite en direction de Gersimi. En effet, on pouvait trouver dans chacune des habitations des corps blanchâtres et sans visage, semblables à Tuatha au détail près qu’ils étaient imberbes. Ils ne semblaient pas avoir subi les outrages du temps de la même façon qu’un humain. Leur peau ne s’était pas désagrégée, seulement craquelée, et cela donnait l’impression d’observer des sculptures antiques dépeignant le plus triste des spectacles.
-Elles ont attendu la mort ici. Pendant des décennies, des siècles peut-être. Au centre de la place, trônait une véritable statue que Gersimi reconnut immédiatement. Elle représentait la Niskaï, en plein combat contre Minerve et sa chouette géante, mémorial de la bataille qui avait vu la fin du clan des ancêtres de Tuatha. Les souvenirs envahirent Gersimi si abruptement qu’elle dut reprendre son souffle et passer discrètement son doigt sur ses yeux qui s’étaient soudainement humidifiés.
-Tout comme moi, la Niskaï n’avait pas de corps à proprement parler, expliqua Cantru. Nous ne sommes faites que d’esprit et d’émotion, prenant une incarnation physique à travers la matière à laquelle nous sommes liées quand nous avons besoin d'interagir avec le monde. Mais c’est aussi dans ces moments que nous sommes les plus vulnérables. J’imagine qu’elle a pris forme pour prendre part à la bataille des Tuathas contre les Romains, et que c’est là que Minerve a pu mettre fin à son existence. -Ainsi que mettre fin à l’existence de mes ancêtres. Cet endroit ressemble plus à un camp de survie qu’à un véritable village.
La pierre avait dû être poncée et lissée pendant des jours entiers pour donner à la sculpture la texture liquide si particulière à l’élémentale, tandis que les contours de Minerve et de son animal de compagnie étaient plus bruts et angulaires, aux visages pleins de férocité, ne laissant aucun doute sur le point de vue de l’artiste.
-Il y a quelqu’un sur le dos de la chouette, dit Astrid. Regarde, Gersimi, on dirait toi.
Alors qu’elle s’approchait de la sculpture, la panique s’était totalement emparée de l’enchanteresse qui n’entendait plus que les bruits de son propre battement de cœur.
Une panique justifiée, puisque le petit personnage qui trônait sur le dos de l’animal mythique était effectivement son portrait craché, jusque dans les moindres détails, qu’il s’agisse de sa frange ou d’un de ses inimitables gaktis.
-ATTRAPEZ LA TUEUSE !
La voix qui venait de pousser ce cri semblait sortie du fond des âges. Rocailleuse, triste et colérique à la fois, son écho résonna le long des murs de la caverne, emplissant de terreur les quatre exploratrices. Elles se retournèrent pour découvrir que les corps qu’elles avaient trouvés plus tôt étaient loin d’être de simples cadavres. Elles étaient maintenant encerclées par le clan des Danann. Une vingtaine de celles qui avaient autrefois été d’aussi fières guerrières que Tuatha se déplaçaient maintenant avec plus de peine qu’un mourant. Leur peau craquelée semblait être prête à se déchirer à chacun de leurs gestes mais elles continuaient d’avancer vers Gersimi en la pointant du doigt.
Tuatha n’hésita pas une seconde et s’interposa immédiatement entre Gersimi et ses ancêtres.
-Je suis Tuatha De Danann, et je vous demande de m’expliquer quels sont vos griefs contre mon amie.
Tuatha la première avait toujours eu du mal à faire comprendre à ses camarades comment elle pouvait voir, entendre, sentir et parler sans être équipée d’yeux, d’oreilles, de nez ou de bouche.
Elle savait seulement qu’elle pouvait diriger ce qui lui servait de voix et décider de ne se faire entendre que d’une personne dans une pièce. Et c’est exactement ce que les Danann firent avec elle. Astrid, Cantru et Gersimi n’osèrent bouger d’un poil tandis que le dialogue silencieux se déroulait sous leurs yeux.
-Elles me disent qu’elles te connaissent, Gersimi. Elles me disent que tu étais du côté de Minerve il y a mille ans. Elles me disent que c’est à cause de toi que la Niskaï est morte.
-Mais c’est impossible, voyons, s’insurgea Astrid. Vous voyez bien que Gersimi n’a même pas trente ans ! -Sauf si on peut voyager dans le temps, répondit Gersimi tristement. -Que veux-tu dire ? -C’était il y a à peine un an, le lendemain de mon arrivée à Thoruvilla, ironie du sort, le même jour où Astrid a rencontré Tuatha. Un accident m’a propulsé de mille ans dans le passé. La Niskaï s’était emparée de mes éclats de Bifrost et aurait pu les utiliser pour battre Athéna. Mais j’ai pris la décision de les récupérer avant qu’elle ne puisse les utiliser.
-Tu étais en pleine bataille avec une entité qui se défendait contre des envahisseurs et tu les a privé de la seule arme qui aurait pu les défendre, mais pourquoi ? Cette fois-ci, c’était les mains de Tuatha qui tremblaient. L’incompréhension et la colère montaient en elle comme jamais ça ne lui était arrivé. -Les voyages dans le temps sont un savoir interdit, parfois même caché par l’école des Bifroster pour cette raison exactement. Ils sont une des choses les plus dangereuses au monde parce qu’il est impossible de savoir si marcher sur un simple insecte dans le passé peut créer une réaction en chaîne capable de transformer la réalité de notre présent. J’aurais pu aider la Niskaï, mais j’aurais pu revenir dans un monde sans Thorulf, sans Astrid, peut-être même sans humains. -C’est sûr qu’il vaut mieux un monde sans Danann que sans humains, dit Tuatha avec le maximum d’ironie dont elle était encore capable. Mais pourquoi ne pas m’avoir prévenue ensuite? Pourquoi me laisser chercher des traces de mes ancêtres pendant tout ce temps sans juger digne de m’informer de ce que tu savais ? N’ai-je pas suffisamment gagné ta confiance ? -Je ne sais toujours pas exactement ce qui a provoqué ce voyage temporel, je serais même bien incapable de le reproduire. Mais la simple idée que j’en sois capable fait de moi une des armes les plus terribles que le monde connaisse. J’ai pensé essayer de te pousser dans la bonne direction sans te dire les choses en face. C’était une erreur et je te supplie de me croire quand je te dis que je le regrette.
-Elles veulent tes pierres, Gersimi, dit Tuatha d’une voix hésitante. Elles veulent revenir au jour fatidique et changer leur destin.
-Ça serait la pire des choses à faire, je vous le jure, plaida encore Gersimi. Voyager dans le temps peut avoir des conséquences que personne n’est en mesure d’imaginer.
-DONNE NOUS TON SECRET ! Les Danann, à bout de patience, avaient repris leur lente marche en direction de Gersimi, et celle-ci s’était mise en position de combat. Les huit pierres qui ornaient ses bracelets lévitaient autour de ses poignets, et leur lumière bleutée avait viré au rouge. La neuvième, celle autour de son cou, se libéra de son attache pour tournoyer autour d’elle, telle une pierre dans une fronde invisible.
Dernier rempart entre ses amies et ses ancêtres, Tuatha était troublée, partagée entre sa colère et ces réflexions autours des paradoxes temporels qui étaient tout à fait nouvelles pour elle.
- Tu dois l’écouter, ajouta Canstru, toujours accrochée au dos de Tuatha. Je comprends ta colère, je la ressens même, mais tu dois l’écouter, l’enjeu est trop grand, et même si les Danann réussissaient à sauver la Niskaï, nous perdrions certainement bien plus.
-DONNE NOUS TON SECRET ! -REGARDE LEURS PIEDS !
Depuis que les Danann s’étaient levées, Astrid peinait à respirer tant l’odeur de la boue noire lui était revenue dans les narines, sans qu’elle puisse voir ou comprendre d’où elle provenait. La jeune fille remarqua alors que les nombreuses craquelures du corps des Danann s’étaient mises à dégouliner de petroleum.
-Ce ne sont pas tes ancêtres, continua Astrid. C’est le petroleum qui s’est infiltré en elles et les manipule.
Tuatha était peut être novice en termes de voyages dans le temps, mais elle en connaissait bien plus qu’elle n’aurait voulu sur ce fameux petroleum. Et elle savait très bien que ce liquide maudit était capable de prendre possession des esprits comme des corps. (cf, La Cité des Arbres). Mais elle savait aussi que l’appel des Danann répondait à un désir de justice qu’elle ressentait elle aussi jusqu’au plus profond de son être.
-Ecoute moi, Tuatha, dit Gersimi. Je veux bien que tu me tues. Si c’est le prix à payer pour avoir gardé le cours du temps intact et t’avoir trahie, je suis prête à l’accepter. Mais ne laisse pas le liquide noir me contaminer, mon pouvoir entre ses mains serait dangereux pour toute la vie telle que nous la connaissons.
Tuatha se retourna d’un coup vers Gersimi pour l’enlacer violemment. L’enchanteresse resta quelques instants torse contre torse avec Tuatha, le regard perdu dans l’air, avant de tomber au sol sans un cri. La dague d’os blanc que portait toujours Tuatha était maintenant fichée dans le gakti de Gersimi dont s’écoulait un mince filet de sang.
-Qu’avez vous fait, pleura l'œil de Canstru. Qu’avez vous fait ?
A la seconde où elles entendirent la voix de Tuatha pénétrer leurs têtes, Cantru, Astrid et Gersimi comprirent immédiatement toutes les trois qu’elles seraient les seules à l’entendre.
-Il faut agir vite. Astrid, dès que j’aurais fait semblant de poignarder Gersimi, il faudra que tu profites du moment. Comme l’espérait Tuatha, les Danann furent désemparés devant le choix de leur descendante. -IL NE FALLAIT PAS LA TUER, TU AS DETRUIT SON POUVOIR AVEC ELLE !
-Je vous ai rendu justice, dit-elle. Mais Gersimi avait raison malgré tout. Ce qui est fait est fait, et le restera. Une partie de vous aura survécu malgré tout ce désastre, à travers moi. Vous pouvez maintenant partir, vengées, l’esprit en paix.
Avant même qu’elle ait fini de parler, les corps des Danann jonchaient déjà tous le sol, des filets de poussière noire s’échappant de leurs craquelures. Depuis la dernière fois qu’elle avait dû utiliser ses algues magiques, Astrid avait cherché un moyen de rendre leur utilisation plus efficace. Elle avait réussi, grâce aux conseils de Gersimi, à bricoler de petits sachets de poudre séchée en fines particules qui pouvaient se répandre dans toute une pièce en quelques secondes.
Le nuage d’algues magiques avait immédiatement attaqué le liquide qui infectait les corps des Danann, et le dévora comme une flamme dévore un brin de paille. -Je te remercie pour ton aide, tu aurais été en droit de prendre leur parti, dit Gersimi tout en se levant péniblement.
-Ne bouge pas, répondit Tuatha en s’approchant d’elle.
Afin de simuler le meurtre de sa camarade, la druidesse avait tout de même été obligée de tailler dans sa cuisse, afin d’ensanglanter la lame de sa dague. Tuatha détacha le bandeau qui nouait ses cheveux et l’enroula autour de la blessure pour la panser.
-C’était le bon choix, répondit Tuatha. Elles n’étaient pas plus réelles que ce que tu as vécu en voyageant à leur époque n’était réel. Je sais que tu as fait le bon choix, jusque dans ton offre de sacrifice. Et je n’arrive pas à imaginer ce qu’il t’en a coûté de garder ce silence.
-Je reste ton obligée malgré tout. Tuatha regarda les corps des Danann qui gisaient autour d’elles en demi-cercle.
-J’aimerais que tu m’aides à leur offrir une digne sépulture.
Et la chose fut faite. Les jours suivants, elles firent remonter les corps à la surface du mont Canisy, et on y érigea un dolmen en hommage aux Danann.
Elles racontèrent qu’elles avaient trouvé la ville et les corps tels quels, sans mentionner le chapitre de leur bref réveil. Avant de remonter, Tuatha, Astrid et Canstru avaient juré à Gersimi de ne jamais dire un mot de l’existence des voyages dans le temps à qui que ce soit.
Fin.
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