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La sorcière Imprudente-Chapitre 1


Gersimi venait du nord.


Si loin au nord que même les Nordiques appelaient cet endroit le nord. On appelait son peuple les Samis.

Les Samis, que certains d’entre vous connaissent peut-être sous l’appellation de “Lapons”, vivaient sur les terres du nord bien avant les Scandinaves que nous connaissons tous. Leur culture était bien différente de celle de leurs voisins, la passion de l’exploration et des raids semblait beaucoup moins les toucher tandis qu’ils essayaient de vivre des vies les plus calmes possible.


Le village de Gersimi par Sophie Moutier

Comme la plupart de ses congénères, Gersimi avait la peau mate et ses cheveux étaient d’un noir aussi profond que celui de ses yeux. Elle était née un vendredi, sous le signe de la déesse Freyja, et montra un talent particulier pour la magie dès son plus jeune âge.


Son vieil ami Thorulf avait hérité depuis peu de la baronnie de la Côte Fleurie (Lire “le Mystère des Roches Noires") et lui avait écrit pour lui proposer d’assurer l’éducation de sa fille adoptive, Astrid.

Il avait donné rendez-vous à Gersimi au port de Touques, plus retiré dans les terres en amont du fleuve Algia, mais à l’époque bien plus grand que celui de l’actuelle Trouville-sur-Mer.




A la vue de « Grand nain », Gersimi se jeta immédiatement dans ses bras pour une longue accolade. Cela faisait trois ans qu’elle et lui ne s’étaient pas vus et certains des combats qu’ils avaient menés ensemble par le passé étaient de ceux qui forgent les amitiés éternelles.

- Te souviens-tu de Folker ? demanda Thorulf en présentant l’intendant du port à la jeune femme. Je crois qu’il avait rejoint l’équipage peu avant ton départ.

- Je me souviens parfaitement de toi, dit-elle en souriant à Folker. Je me souviens surtout qu’il était difficile de te croiser sans ton jumeau de frère ! J’espère qu’il ne lui est pas arrivé malheur ?

- Il a pris en charge l’intendance du premier port en amont. Ce cher Turold n’avait pas prévu qu’accepter la gouvernance de la région devait nous donner autant de travail. Me voilà donc amputé de mon double, tel un corps sans coeur …

- N’exagère rien, dit Thorulf dans un éclat de rire. Les deux ports sont éloignés d’une marche de vingt minutes et ils ont insisté pour être logés dans la même maison, à mi-chemin des deux villes.

Ils en sortent à la même heure et y rentrent à la même heure. Il paraît même qu’ils en découchent à la même heure !

- Mon coeur saigne quand même, geignit Folker. Je n’aime pas ne pas savoir où Rolf court.

- Astrid n’est pas avec toi ? demanda Gersimi.

- Tu es arrivée plus tôt que prévu, elle revient d’une partie de chasse avec Solveig et je doute qu’elles ne soient rentrées avant tard dans la nuit. Tu rencontreras ton élève demain !



Thorulf ayant encore fort à faire avant la fin de la journée, il donna rendez-vous à ses amis le soir même pour une plâtrée d’huîtres en ville.


En attendant, Folker allait présenter sa nouvelle demeure à Gersimi tout en supervisant le débarquement et l’installation chez elle du matériel que la jeune professeure avait emmené avec elle.

Et ce ne fut pas une mince affaire. La maison que Thorulf avait fait préparer pour

Gersimi était située dans un champ, éloignée de l’entrée de Touques d’à peine un kilomètre. En plus d’être une charmante maisonnée, elle était agrémentée d’un superbe atelier destiné à accueillir le grand laboratoire sans lequel la jeune sorcière ne pouvait travailler dignement. A la vue de la pile de sacs et de différentes caisses étalées dans le jardin de la petite ferme que Turold avait fait mettre à sa disposition, il était difficile d’imaginer comment tout cela avait voyagé dans un aussi petit bateau.

- J’imagine que celui-là n’est pas fait pour parer les coups d’épées, ironisa Folker en montrant du doigt un étrange casque de verre, surmonté d’un petit tuyau rétractable. - C’est une de mes dernières inventions, je l’ai nommée blasàvlatn, il permet de respirer sous l’eau tant qu’on ne s'y enfonce pas trop profond et que les vagues ne sont pas trop hautes. J’espère trouver un moyen de relier le tuyau à des poches d’air mais c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. Si j’arrivais à trouver un système assez fonctionnel, il pourrait sauver la vie de nombreux marins... - Même si cela ne fonctionnait pas, toutes ces idées font une formidable nourriture pour l’esprit. Tu ne peux pas imaginer comme je suis réjoui d’avoir retrouvé une Bifroster dans l’équipe...

De toutes les pratiques surnaturelles du monde scandinave, l’ecole des arpenteurs de Bifrost était une des plus respectées et réputée. La pupille de Thorulf avait jusqu’ici étudié avec les meilleurs mentors qu’il est possible d’imaginer pour une enfant de l’époque. Capitaine Klotilde, “la survivante du Jormüngand”, l’avait initiée à la navigation. Connue pour avoir réussi à pister le grand loup Sköll, Solveig la chasseuse avait pris en charge son éducation de pisteuse et les frères Kobbold lui apprenaient les langues et la littérature. Turold avait quand à lui initié Astrid aux sciences et à la magie jusqu’ici, mais même les connaissances du plus grand nain du monde atteignirent leurs limites face aux talents particulier de l’enfant.


Le champ d’étude des Bifrosters avait ceci de particulier qu’en plus des pratiques communes à toutes les écoles de sorcellerie comme l’étude des plantes ou des charmes, il couvrait aussi un bon nombre de spécialités scientifiques qui étonnerait plus d’un physicien contemporain. Mais ce qui faisait la grande réputation des Bifrosters était leur maîtrise des univers parallèles et la chasse aux dragons et créatures des autres mondes.

Thorulf, qui avait un don particulier pour attirer les talents dans son giron, avait remarqué Gersimi cinq ans auparavant au cours de la fameuse bataille de Bodø. A peine âgée d’une vingtaine d’années, la jeune femme avait réussi à ouvrir un portail vers le monde de Jötunheim pour y téléporter un Kraken Gigantesque qui menaçait de pulvériser la ville.

Le Kraken de Bodø

Leurs chemins s’étaient depuis croisés plus d’une fois, et la grande complicité qu’ils avaient forgé au fil de leurs aventures communes avait prouvé à Thorulf qu’elle était la plus à même de guider Astrid.


...


Le Carpe Diem.

Le Carpe Diem n’était pas la taverne favorite de Thorulf, mais il savait que l’endroit serait du goût de Gersimi. La place, tenue par un couple originaire de Rome était la plus festive de Touques et l’on y servait autant de fruits de mer bien frais que de boissons de toutes origines dans une ambiance de fête permanente. Folker était enfin en compagnie de son frère jumeau et Capitaine Klotilde avait rejoint la bande, fatiguée par une journée de travail intense, mais heureuse de retrouver Gersimi. - Excuse mes traits un peu tirés, mais je supervise les travaux que nous avons lancés dès que nous avons hérités de la région. Il y a tellement de passage que nous avons décidé de créer un système de double port en gardant la pêche à Thoruvilla et en concentrant les navires de commerce ici, à Touques. - Thoruvilla ? “La ville de Thorulf” ? remarqua Gersimi rieuse. Le titre de Baron t’est monté à la tête pour que tu nommes un port de ton nom ?


Klotilde fit gicler la mousse de la bière qu’elle portait à ses lèvres dans un éclat de rire.

- Il a organisé lui-même une pétition pour que ça ne soit pas le cas, s’écria Rolf en riant lui aussi.


- Mais c’était trop tard, le récit de son exploit dans l’affaire de la géante de pierre (voir "Le Mystère des Roches Noires") était tellement populaire que les visiteurs appelaient déjà la ville comme ça avant que nous ayons pu y faire quoi que ce soit, précisa Folker non moins hilare.

- La géante de pierre ! Je sens que cet endroit va me plaire. Mes éclats de Bifrost envoient des vibrations qui m’étaient inconnues depuis que j’ai posé le pied à terre, dit Gersimi en présentant ses bras pour preuve à ses amis.



Les éclats de Gersimi.

Chacun de ses poignets portait un bracelet orné de quatre petites pierres précieuses aux couleurs indéfinissables et légèrement luminescentes. Une dernière pierre pendait au bout d’un lacet de cuir attaché au cou de la jeune femme, les portant au nombre de neuf.


Une voix extérieure au groupe, enjouée, limite moqueuse, interrompit aussitôt la conversation dans un norvégien parfait. - Impensable ! Si on m’avait dit que j’allais croiser une bifroster ici, je ne l’aurais jamais cru. Et encore moins une si jolie ! Nos amis tournèrent tous la tête vers le bar d’où venait la voix. Un beau gosse à l’air légèrement éméché brandissait son boc de bière, le sourire aux lèvres.

- Qu’est-ce qui vous amène ici ? J’ai vu de nombreuses choses étranges depuis que je traîne dans la région, mais je n’ai encore croisé aucun dragon, continua le jeune homme en s’approchant de la table et piochant dans le plateau d’huîtres comme si elles étaient les siennes.

- Je vous en prie, servez-vous, ironisa Thorulf. - Je ne voudrais pas juger sur le physique, mais j’imagine que vous êtes le fameux baron de la Côte fleurie. La réputation qui vous décrit entouré de spécialistes des arts mystiques disait donc vrai.



- Quelle est votre réputation à vous ? demanda Gersimi amusée par le sans-gêne du personnage.

- On m’appelle Göngu, je suis explorateur et depuis plusieurs mois sur ces terres, en quête d’aventure, dit-il sans quitter Gersimi des yeux. - Et avez vous trouvé aventure à la hauteur de vos attentes ?


Göngu ramassa une deuxième huître qu’il goba avec délectation, fixant toujours la bifroster avec insistance. - Pas jusqu’à présent, mais mon petit doigt me dit que je suis tombé sur la bonne piste.

- J’ai peur de vous décevoir, je suis venue ici en qualité de professeure pour la pupille de Thorulf, approfondir mes recherches et passer du bon temps avec mes camarades. Rien qui ne risque d’enrichir les sagas. - Et vous donnez des cours du soir ?


Gersimi n’était pas dupe du jeu de drague vraiment pas fin enclenché par Göngu. Mais son coeur était à la fête et l’attitude bravache du personnage, mêlée à un sourire légèrement idiot l’amusait beaucoup. Qui plus est, il s’avéra vite être le plus talentueux des partenaires de danse de la soirée.


La jeune sorcière avait toujours trouvé qu’une soirée de fête était le meilleur moyen de relâcher la tension après un long voyage. Elle s’endormit quelques secondes après que son dos se soit posé sur son lit, le sourire aux lèvres à peine caché par ses cheveux ébouriffés.



...



Le problème avec les chambres orientées vers l’Est, c’est qu’il faut bien penser à fermer ses rideaux le soir. Il n’est rien de plus désagréable que de se faire réveiller par un rayon de soleil qui vous chauffe le cerveau et vous provoque des rêves dans lesquels vous chevauchez une libellule blessée et deux gros chats vous pourchassent dans une ville en feu.

Alors qu’elle émergeait encore de son cauchemar, les yeux boursouflés de Gersimi fixaient le petit cadran solaire sophistiqué posé sur le rebord de sa fenêtre contemplant avec désespoir l’idée qu’elle devait être fraîche et dispose dans moins d’une heure pour la première leçon de bifroster qu’elle allait donner à Astrid.

Comme à chaque fois qu’elle avait besoin d’une dose de courage supplémentaire, elle porta ses mains à ses bracelets. Quand elle se rendit compte que ses doigts touchaient directement la peau de ses poignets, Gersimi fut prise d’une soudaine sueur froide. Elle mit immédiatement sa main à son cou pour se rendre à l’évidence : ses éclats de Bifrost avaient disparu … Les éclats de Bifrost, sont, comme leur nom l’indique, un des éléments essentiels à la pratique de la sorcellerie bifroster. La légende dit que ce sont les derniers vestiges du Bifrost, arc-en-ciel magique qui se vit brisé il y a plusieurs milliers d’années lors du grand Ragnarok, un événement cosmique qui signa la fin du temps des dieux et les débuts du monde tel qu’on le connaît.


Ces cristaux connectés en permanence avec d’autres mondes étaient une source de connaissances et de pouvoirs sans équivalent sur Terre.


Complètement paniquée, Gersimi se mit à fouiller frénétiquement dans ses draps à la recherche des éclats quand elle tomba nez à nez avec un vieux caleçon d’homme sur lequel était écrit quelques mots en Norvégien :


Les souvenirs de la dernière heure de la soirée de la veille revinrent tous ensemble en même temps dans l’esprit de la bifroster. Les danses effrénées avec Göngu qui prétexta ensuite ne pas se souvenir de l’adresse de son hôtel pour demander l’asile à Gersimi pour la nuit… De toute évidence, il avait profité du sommeil de la jeune femme pour la délester de ses pierres magiques avant de prendre la clé des champs. Prenant à peine le temps de plonger son visage dans une bassine d’eau avant de s’habiller, Gersimi ne vérifia même pas si le voleur lui avait extorqué autre chose. Ces pierres étaient bien trop précieuses et dangereuses dans les mains de quelqu’un qui n’en maîtrisait pas la magie. Elle enfila immédiatement un Gàtki tout en claquant la porte derrière elle.



Un Gàtki est une sorte de poncho traditionnel chez les Samis.

Recouvrant son corps en laissant ses bras libres, Gersimi en utilisait les doublures pour y ranger de nombreux gadgets permettant de faire face aux différentes activités auxquelles pouvaient se confronter une Bifroster au quotidien. Gàtki d’éclaireuse aux nombreuses poches pleines des lunettes que Gersimi fabriquait elle-même, d’essences animales et de biscuits de survie. Gàtki de combat, cachant quelques lames aiguisées et de nombreuses grenades aux effets divers. Gàtki de cérémonie, garni de mignonettes d’hydromel. Gàtki de bricolage, garni d’un nombre impressionnant de petits outils …




Elle en avait de toutes sortes, mais ce matin-là, elle avait choisi son Gàtki de chasse.


Elle en sortit une petite fiole apparemment vide qu’elle inhala pendant quelques secondes. L’haleine de Fenrir est une denrée rare et chère qui permet de percevoir les odeurs aussi nettement que si l’on pouvait en voir les traînées.

Il fut très facile à Gersimi de repérer l’odeur de Göngu qui semblait avoir filé vers la ville. Sachant qu’ils étaient rentrés tous les deux à pieds cette nuit-là, elle pensait que le voleur avait au moins rejoint la ville pour y trouver une monture et s’enfuir pour de bon.

Elle courut immédiatement vers la ville, qu’elle atteint en deux minutes à peine, mais à peine eût-elle un peu avancé dans les rues que l’odeur de Göngu se fit moins nette, comme parasitée par mille senteurs qui se faisaient de plus en plus prégnantes.



Chaque jeudi voyait arriver aux premières lueurs du jour de nombreux vendeurs, jongleurs et bonimenteurs pour le grand marché de Touques. Fromages, charcuteries, boissons à base de pommes…

Toute la ville s’emplissait des bonnes odeurs des produits locaux, rendus d’une qualité exceptionnelle depuis que Thorulf avait rétabli la paix avec les puissances élémentales locales (voir "Le mystère des Roches Noires"). Un bonheur pour le commerce local, mais au plus grand désespoir de Gersimi qui finit de perdre le chemin laissé par l’odeur de Göngu en passant sa tête dans un petit nuage au délicieux fumet de friture de crevettes.


- Mais bien sûr ! Il a dû s’enfuir vers le port, s’écria-t-elle en se remettant à courir en direction du fleuve. Le port. C’était effectivement le seul endroit où quelqu’un de sensé chercherait à quitter une ville avec une bifroster aux trousses. C’était aussi le seul endroit où, pour d’éventuelles raisons d’heure de départ, elle pourrait avoir une chance de le rattrapper avant qu’il ne soit trop loin. Elle pourrait ainsi régler cette affaire tout en arrivant à l’heure pour son rendez-vous. Gersimi n’avait aucune envie d’expliquer à Turold qu’elle avait été assez étourdie pour se faire avoir aussi facilement.

Le port de Touques s’était construit autour du bras de fleuve dont le niveau montait ou descendait selon les marées. A marée haute, les bateaux partaient ou revenaient de la pêche tandis que la marée basse ne permettait qu’à quelques barques ou petites embarcations de circuler et bloquait les navires de voyage. Mais comme une journée qui commence mal continue souvent sur sa lancée, la marée était bien évidemment haute à l’arrivée de Gersimi, et le ballet des marins chargeant les bateaux battait déjà son plein. Elle marchait d’un pas vif, poings fermés et sourcils froncés, scrutant chaque visage de la foule, prête à mettre une raclée à Göngu à la première seconde où elle poserait ses yeux sur lui.


- Te voilà bien matinale pour quelqu’un qui a autant fêté hier ! Folker se tenait devant un grand navire d’origine grecque, une pile de parchemins dans une main, une plume dans l’autre et une file de marins attendant sa validation pour embarquer diverses marchandises sur l’embarcation. - Le domaine de Thorulf est de l’autre côté de la ville, tu as dû te tromper de chemin, continua-t-il. - Tu tombes à pic, Folker ! As-tu croisé Göngu ? Le bel andouille qui s’est joint à notre table hier soir ! - Pas du tout. La dernière fois que je l’ai vu, vous quittiez la taverne bras dessus, bras dessous et je dois avouer que je pensais qu’il était encore avec toi. - Il a quitté ma maison avant mon réveil, et ce voleur de bas-étage n’est pas parti les mains vides, dit-elle en chuchotant. Folker remarqua alors immédiatement les poignets nus de Gersimi.


- Tes éclats de bifrost ! Ne me dis pas qu’il a… - Si. Il a… - Mais un tel pouvoir dans les mains d’un non-initié pourrait s’avérer… - Catastrophique ! - Il faut absolument que je le retrouve au plus vite, et j’ai pensé qu’il tenterait de quitter la ville à bord d’un bateau pour s’en éloigner le plus vite possible.

- Tu as de la chance dans ton malheur, Gersimi, ce navire est le premier à appareiller ce matin. Si Göngu veut quitter la ville par la mer, il est encore ici quelque part. Folker et Gersimi décidèrent de ne pas sonner l’alarme pour pouvoir agir discrètement. Bloquer le port immédiatement donnerait à Göngu le signal que tout le monde était à sa recherche et l’éloignerait bien vite des rives de l’Algia. De plus, Gersimi espérait encore pouvoir résoudre son problème sans avoir à rendre de compte à Turold sur son imprudence. - Bloque la sortie du bateau et fais sortir les marins en silence pendant que je fouille la cale, dit-elle à Folker. S'il a réussi à s’infiltrer dedans, je ressentirai le pouvoir des pierres immédiatement.



Les éclats de Bifrost n’étaient pas de simples outils pour les bifrosters, mais devenaient avec le temps et la pratique de véritables extensions de leur corps et de leur esprit. C’était d’ailleurs très certainement le fait d’avoir été séparée d’elles qui avait donné des cauchemars à Gersimi au réveil.

En pénétrant dans les cales du bateau, la sorcière ferma donc les yeux, et se concentra fortement pour tenter de capter l’énergie des cristaux. Un sentiment de douce chaleur l’envahit au fur et à mesure qu’elle descendait les escaliers menant aux soutes. Il n’y avait aucun doute, les éclats n’étaient pas loin.

Mais où ? Gersimi avançait pas à pas, frôlant de ses mains toutes les caisses assez volumineuses pour y cacher un être humain. Sans succès.


C’est vers l’arrière du navire qu’elle ressentit le plus fort la présence des pierres, mais il n’y avait là que des sacs qui, une fois ouverts, ne révélèrent que diverses draperies d’un goût plus que douteux. - Je sais que tu te caches ici, Göngu, et je te trouverais même si je dois mettre ce navire en pièces, cria Gersimi en donnant un grand coup de poing dans le mur pour donner de la force à sa menace. Au moment même de l’impact de ses doigts sur le mur, un léger son de déflagration, presque inaudible mais qu’elle connaissait parfaitement, se fit entendre de l’autre côté.


- Petit malin…

Gersimi se mit immédiatement à courir vers le pont supérieur en criant. - Il a aussi volé le blasàvlatn ! Il est contre la paroi ! Il est sous l’eau !

A peine eût-il le temps de comprendre ce que voulait dire Gersimi que Folker la vit passer en trombe devant lui et se jeter à l’eau sous ses yeux. Rendu sourd aux sons extérieurs par le casque sous-marin, Göngu attendait souriant à quelques centimètres en dessous de la surface. Il était particulièrement fier de la façon dont s’était déroulé son plan et attendait calmement que le navire ait quitté le port pour se faufiler parmi l’équipage et voguer vers la Méditerranée où il avait prévu de vendre le fruit de son larcin.



Quelle ne fut pas sa surprise de voir Gersimi apparaître pile devant lui dans un plongeon extrêmement maîtrisé et lui arracher le blasàvlatn du visage en un seul geste.

Paniqué, et persuadé qu’une horde de gens d’armes l’attendaient à la surface, le voleur prit appui contre la coque du bateau et se poussa vers le fond de l’eau, échappant de peu à l’étreinte de la sorcière. Dans un geste désespéré, Gersimi parvint tout de même à agripper un pied de Göngu. Mais le jeune homme était très athlétique et parvint à nager encore plus profondément à la seule force de ses bras, entraînant Gersimi avec lui dans les profondeurs du fleuve. Fermement décidée à ne pas lâcher Göngu, elle tira sur la jambe de toutes ses forces mais ne réussit qu’à déchirer le pantalon du jeune homme.


Les neuf éclats de Bifrost s'échappèrent alors de la poche trouée de Göngu, tourbillonnants dans les ondes créées par le combat des deux adversaires. Fatiguée, énervée, Gersimi commençait à manquer d’air tandis qu’elle tentait tant bien que mal de saisir les pierres qui luisaient comme jamais, frappées par les rayons de soleil à travers l’eau. Elle tendit sa main vers le plus gros des éclats, celui qui pendait habituellement à son cou. Si elle parvenait à l’attraper, elle aurait assez de pouvoir pour attirer les autres à elle… Mais alors que son doigt entra en contact avec l’éclat, elle sentit un énorme choc sur son crâne.

Folker, paniqué en ne la voyant pas remonter à la surface n’avait écouté que son courage et s’était élancé lui aussi dans le fleuve pour lui venir en aide et atterrit les fesses les premières sur la tête de son amie.



Des éclats de Bifrost sortit soudain une onde de choc d’une puissance phénoménale, accompagnée d’une lumière aveuglante. Les marins débarqués sur le quai par Folker virent alors un gigantesque tourbillon se former instantanément sous le bateau et l’engloutir d’un coup avant de se refermer aussi vite qu’il s’était formé. Ni Gersimi, ni Folker, ni Göngu, ni aucun débris de navire ne remontèrent à la surface …


A suivre ...




(Ecrit et illustré par Thomas Lesourd sauf "le village de Gersimi", peinture par Sophie Moutier)



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